L’UDC s’acoquine avec des membres de l’extrême droite. Blick a révélé que deux leaders du groupe d’extrême droite Junge Tat s’occupaient des relations médias pour la présidente de l’UDC Winterthour, Maria Wegelin, qui a annoncé suspendre son mandat jusqu’à la fin du mois d’octobre. Un de ces activistes fait également partie des Jeunes UDC de Thurgovie. Il produisait leurs affiches électorales. Pourtant, l’UDC l’assure, il ne s’agit là que de cas isolés.
Du côté des ténors du parti, le président Marco Chiesa ne s’exprime pas. Le chef de file Christoph Blocher, non plus, n’a pas souhaité répondre aux questions de Blick. Rien de surprenant pour l’historien Damir Skenderovic qui observe que l’influence de l’extrême droite a longtemps été minimisée en Suisse, en particulier dans les rangs de l’UDC.
Damir Skenderovic, avez-vous déjà rencontré un partisan d’extrême droite en Suisse?
Oui. La dernière fois, c’était dans les années 1990, lors d’un concert. C’étaient des skinheads d’extrême droite.
C’était il y a longtemps. C’est probablement parce que cette scène est marginale en Suisse.
Je ne la vois pas au quotidien, mais elle ne représente pas pour autant un phénomène marginal. Une vaste étude de 2007 avait montré qu’un jeune sur dix âgé de 16 à 20 ans sympathisait avec des groupes d’extrême droite.
Ce nombre paraît invraisemblable. Clarifions: qui sont pour vous les sympathisants d’extrême droite et comment les reconnaît-on?
Ils défendent des opinions racistes d’extrême droite et n’hésitent pas à les afficher par les symboles correspondants. Par exemple avec le chiffre 88, qui signifie «Heil Hitler». Et ils propagent des théories du complot d’extrême droite comme le «grand remplacement». Selon cette théorie, la culture et la population occidentales seraient menacées par l’immigration et seraient bientôt remplacées par celle-ci.
Sur une affiche, les Jeunes UDC d’Argovie attisent la peur d’une invasion migratoire. Le conseiller national UDC Andreas Glarner a déclaré qu’il était préoccupé par les évolutions démographiques. Selon vous, un parti intégré aux institutions démocratiques reprend-il ainsi des narratifs d’extrême droite?
Rappelez-vous de la pub qui montrait l’agression à l’arme blanche d’un Suisse par des Albanais du Kosovo, que le Tribunal fédéral a également jugé raciste. Souvenez-vous de l’initiative contre les minarets ou encore de l’affiche du mouton noir. Ils s'agissaient de produits d’exportation du populisme de droite suisse. Elles ont été reprises par de nombreux partis dans d’autres pays européens.
C’est perturbant, mais est-ce vraiment dangereux?
Les théories du complot comme le «grand remplacement» ou les affiches racistes sont contraires aux valeurs démocratiques fondamentales. Il ne faut pas non plus oublier que la théorie du complot du génocide blanc a été mentionnée par le tueur de masse Anders Breivik en 2011, par exemple, et qu’elle circule au sein des réseaux de l’extrême droite partout dans le monde.
Aujourd’hui, les membres de l’extrême droite suisse cherchent à se rapprocher de l’UDC.
Ce n’est pas nouveau. Dans le passé, dès qu’une affaire était rendue publique, le parti prenait ses distances. La formation a toujours suivi le même schéma. Il faut également noter qu’il n’y a plus personne à la droite de l’UDC. D’autres partis comme les Démocrates suisses ou le Parti de la liberté ont été absorbés dans les années 1990.
La direction de l’UDC reste silencieuse après les révélations sur Maria Wegelin et sur les Jeunes UDC de Thurgovie. Ni le président du parti, Marco Chiesa, ni Christoph Blocher ne veulent s’exprimer sur les liens entre l’UDC et Junge Tat.
Ce comportement correspond à la manière dont l’extrême droite est généralement considérée en Suisse.
Dans quelle mesure?
En Suisse, l’idée du «cas particulier» est fortement ancrée. On estime que le pays n’a pas de problème avec l’extrême droite. Celui-ci n’existerait que dans les autres pays comme en Italie, en France ou en Allemagne. De plus, l’opinion publique et la politique ne s’y intéressent que ponctuellement. Une affaire est dévoilée dans les médias, et soudain, cela provoque une réaction émotionnelle. Mais ce ne sont que des cas isolés et les incidents tombent rapidement dans l’oubli. Pourtant, la Suisse a, elle aussi, une histoire liée à l’extrémisme de droite. Toutefois, celle-ci n’est pas ancrée dans la mémoire collective.
De quelle histoire parlez-vous?
Dans notre histoire récente, il y a l’exemple du «printemps des Fronts» à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Des groupes se sont formés et ont incendié des centres pour requérants d’asile. En 1989, quatre Tamouls, dont deux enfants, ont été retrouvés mort à Coire. Si l’on rapporte ces chiffres à la taille de notre population, il y avait alors plus de meurtres commis par des sympathisants d’extrême droite en Suisse qu’en Allemagne. Connaissez-vous quelqu’un en Suisse qui en soit conscient?
Je ne pense pas. Parle-t-on trop peu de l’extrême droite, y compris dans les écoles?
Oui, à tous les niveaux, en politique comme dans la société. Le dernier projet de recherche complet sur le sujet remonte à 2003. Et il n’y a pratiquement pas de débat public à ce sujet.
L’UDC devrait-elle aborder la question frontalement?
Elle devrait condamner clairement l’extrême droite et réfléchir à ses liens avec le mouvement dans son passé. C’est justement sur des thèmes comme la migration et l’asile que l’on voit les limites floues entre l’extrême droite et la droite populiste.
Quelle est la différence?
Dans la perspective des chercheurs, l’UDC est considérée comme faisant partie des formations de droite populiste en Europe. En cas de crise, ces derniers fournissent des réponses simples à des phénomènes complexes. Ils divisent le monde entre les bons d’un côté et les mauvais de l’autre. Ils soulignent une opposition radicale entre le peuple et l’élite, entre «nous» et les «autres». La droite populiste crée des boucs émissaires et les rend responsables d’un tas de problèmes dans la société. Agir là-dessus permettrait de remettre de l’ordre dans le monde. Les extrémistes de droite utilisent des logiques similaires.
Mais l’extrémisme va plus loin que le populisme.
C’est vrai, cela dépend surtout de la manière et du lieu où ils font de la politique. L’UDC fait partie du système politique établi, elle utilise le répertoire démocratique, des interventions parlementaires aux initiatives. Les groupes d’extrême droite comme Junge Tat évoluent en dehors de ce système politique. Ils agissent en ligne, sur les réseaux sociaux ou dans la rue. Et ils n’hésitent pas non plus à recourir à la violence. Cela signifie qu’ils sont actifs dans d’autres domaines.
De votre point de vue, que faudrait-il faire?
Plus de travail historique et de mémoire sur l’extrême droite, en particulier auprès de la jeune génération. Il faut des campagnes de sensibilisation, des programmes de sortie et des mesures concrètes, comme cela se fait depuis des années en Scandinavie, par exemple. Actuellement, la devise suisse est encore souvent la suivante: observer et puis oublier tout aussi vite.
Revenons à l’UDC. Comment les autres formations politiques s'interagissent-elles avec le parti agrarien?
En Suisse, en raison de la culture du consensus en politique, les autres partis, dont les sociaux-démocrates, collaborent avec un parti de droite populiste comme l’UDC aux différents niveaux du système politique – notamment au sein du Conseil fédéral.
Demandez-vous un boycott?
Il ne s’agit pas de cela. La question est plutôt de savoir si un «cordon sanitaire» ne devrait pas être envisagé en Suisse, comme dans d’autres pays européens. C’est-à-dire se demander s’il ne faudrait pas établir une distance – une sorte de zone tampon avec les partis de droite populiste – et ce que cela signifie de travailler en coalition avec eux pour certains domaines de la politique et de la société.