Couper les ponts avec les institutions scientifiques israéliennes. Voici le choix de la chercheuse de l'Université de Lausanne (UNIL) Oriane Sarrasin, également élue socialiste au Grand Conseil vaudois. La maîtresse d'enseignement et de recherche en psychologie sociale, spécialiste de l'environnement, a partagé une story en ce sens sur son compte Instagram, le 6 février.
Des scientifiques d'une université israélienne avaient contacté la psy par e-mail «en début d'année» pour évoquer l'idée d'une collaboration professionnelle. C'est sa réponse, tardive, à ce message qu'elle a publié sur le réseau social. Ses mots ont le mérite d'être clairs une fois traduits de l'anglais: «Jusqu'à la fin de l'occupation de la Palestine, je ne collaborerai plus avec des institutions israéliennes, peu importent la nationalité ou la religion des académiciens impliqués dans les projets de recherche.»
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Comment justifie-t-elle cette décision? Qu'en pense son employeur? L'a-t-elle prise en tant que politicienne ou en tant que chercheuse? Interview.
Oriane Sarrasin, vous refusez de travailler avec des scientifiques d'institutions israéliennes «jusqu’à la fin de l’occupation de la Palestine». C’est discriminatoire, non?
J’ai envoyé cet e-mail à la suite d'une réelle demande de collaboration. Dans ce court message, je précise que je ne souhaite pas travailler avec des institutions israéliennes, peu importent la nationalité ou la religion des scientifiques concernés. Je suis tout à fait ouverte à collaborer avec des personnes de toutes origines, si elles sont basées dans un pays qui n'est pas en train d’en attaquer un autre. Comme psychologue sociale, j'estime que la discrimination, c’est avoir un comportement délétère envers un individu, basé sur son identité. Mais refuser de travailler avec une institution financée par une entité nationale en guerre, ce n’est pas discriminatoire. On peut dire que c'est du boycott, éventuellement.
Qu’est-ce qui vous a amené à cette décision?
Quand j'ai reçu cette demande de participation à un projet, j'ai été voir le site de l'université israélienne en question. Celui-ci met en avant des messages en lien avec le conflit, que j'ai perçus comme très nationalistes. Je ne me sentais pas à l'aise. Pour cette raison, j’ai refusé la collaboration, ce dont j'ai informé diverses instances de l'UNIL. Je tiens à dire aussi que l’antisémitisme qui monte en Suisse — on a vu les chiffres il y a quelques jours — est totalement révoltant, et tout aussi néfaste que l'islamophobie. Il est abject de s’en prendre à des personnes pour leur religion.
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C'est votre éthique de scientifique qui vous a poussé à vous positionner?
En tant que chercheuse en psychologie, je suis un code d’éthique et de déontologie. Notre énergie professionnelle doit viser le respect de la dignité humaine. Une partie de notre travail porte sur les discriminations intergroupes, qui peuvent mener à des violences horribles. On le voit chez les otages israéliens ou chez tous les habitants de Gaza. Collaborer avec une institution financée par un État qui est en train d'attaquer une population civile, pour moi, ce n'était pas tenable éthiquement. D'où l'idée que si un jour le conflit cesse, ce que j'espère vivement, je reverrai ma décision.
Quel est le lien entre le conflit au Proche-Orient et votre domaine de recherche, la psychologie environnementale?
Il n'y en a pas. La proposition de collaboration qui m'a été faite concernait mon domaine de recherche et n'avait aucun lien avec la situation géopolitique. Je ne connais pas ces collègues. Je n'ai jamais non plus travaillé avec des scientifiques en Palestine. Au-delà de ma décision dans ce cas précis, cela ne me viendrait d'ailleurs pas à l'idée de travailler avec une quelconque entité, nationale ou non, impliquée dans l’attaque de civils.
Votre décision vous a-t-elle valu des critiques ou des remontrances dans le milieu scientifique ou de la part de l’UNIL?
Pas du tout. Cette décision professionnelle, je l'ai prise de manière privée en usant de ma liberté académique. J’ai averti mon université, en précisant les mots que j’allais utiliser dans ma réponse. Je ne pensais pas forcément la partager, mais la violence de ce conflit m'a poussée à montrer qu’en tant que scientifique, on peut se positionner. Il y a une telle escalade de violence, tant du côté des otages israéliens que des Palestiniens. Je ne voulais pas travailler avec des institutions financées par la même source qui finance une armée qui s’attaque à des personnes et bâtiments civils.
Avec cet engagement, vous jonglez entre vos deux casquettes d'académicienne et de députée socialiste au Grand Conseil vaudois...
Dans chaque sphère, je choisis ma casquette. Je fais par exemple en sorte de ne pas déposer d’objets au sujet de l’UNIL, mon employeur. La réaction que j’ai postée brièvement sur mes réseaux personnels est celle d’une chercheuse, bien qu'elle implique une notion de politique de la recherche. En tant que députée, ma double casquette ne me pose pas de problème. Ce qui ne serait pas correct, ce serait, avec une casquette de scientifique, de me poser en experte d’une discipline qui n’est pas la mienne. Dans le cas présent, je n’émets pas un avis d’experte en géopolitique, mais celui d’une personne qui s’inquiète du respect des droits humains.