Il est 10h07 et j’ai la gorge qui gratte. Face à moi, sur les terres de l’Université de Lausanne (UNIL), des manifestants viennent d’être gazés par au moins deux policiers vaudois.
Et pour cause. Quelques secondes plus tôt, une partie des quelque 200 militants ont forcé le barrage de gendarmes dans l’espoir d’atteindre l’Amphimax, lieu de la rencontre entre le président de la Confédération Alain Berset et son homologue français Emmanuel Macron.
Plusieurs giclées de spray au poivre et une présence policière accrue ont suffi à ce que leurs tentatives restent vaines. Après avoir bataillé, les forces de l’ordre prennent le contrôle de la situation entre le bâtiment de l’Institut suisse de droit comparé (ISDC) et le Synathlon.
Durant près de trois heures, les manifestants resteront bloqués là, sans avoir la moindre chance de dire le fond de leur pensée aux deux chefs d’État. Mais revenons un peu en arrière, pour découvrir les coulisses de cet événement.
L’UNIL, lieu de contestation matinale
Un petit air de contestation souffle déjà, quand je débarque à 8h du mat' sur le lieu de mes études, achevées en 2019. En ce jeudi 16 novembre, le campus lausannois est balisé comme jamais. Chaque embranchement est gardé par un policier ou un agent de sécurité privé. Et des chemins entre les différents bâtiments, à l’UNIL, il y en a tout un tas. Devant l’Amphimax, la file d’attente est déjà longue comme le bras. La discussion présidentielle commence dans deux heures.
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Mais je ne suis pas là pour y assister. Depuis quelques jours, une manifestation se prépare pour critiquer les positions des présidents suisse et français sur la situation israélo-palestinienne. L’information du lieu de rendez-vous et de l’heure de départ n’ont pas encore fuité. Peu après 9h, un message apparaît sur un canal Telegram: «Rendez-vous dès maintenant devant la cafétéria de l'Anthropole sur le campus de l’Université de Lausanne. La manifestation partira de là.»
Sur place, je reçois un flyer promettant un départ à 9h30. «Nous considérons l’invitation de ces deux représentants politiques comme contrevenant aux valeurs que l’université prétend défendre, détaille le dépliant sur les raisons de la protestation. En effet, la position de ces deux gouvernements est indigne par rapport à l’ampleur des crimes commis actuellement en Palestine.»
«Berset, tu fais honte à la Suisse»
J’ai rendez-vous avec Belkis, étudiante de l’Université de Fribourg engagée pour la cause palestinienne. «Berset, tu fais honte à la Suisse», «le sang de Gaza sur vos mains» ou encore «Macron, Berset, complices de génocide»: elle a prévu une dizaine de pancartes en carton qu’elle distribuera à tout-va. «Ça fait plaisir de voir aussi des jeunes Suisses blancs avec nous, glisse la militante. Quand j’avais 10 ans, je scandais déjà les mêmes slogans. Aujourd’hui, grâce aux réseaux et aux médias indépendants, plus de monde a accès aux informations sur ce qui se passe en Palestine.»
Plusieurs associations universitaires «de gauche» se sont donné le mot, m’apprend-elle. «La manifestation est plus spontanée qu’autre chose», précise un membre du Groupe regards critiques (GRC), qui se présente comme un «lieu de réflexions collectives et de débats, mais aussi d’actions critiques».
Féministes et anticapitalistes côtoient des activistes pro-palestiniens et des personnes venues d’ailleurs en Suisse romande pour exprimer leur mécontentement. La grande majorité des personnes présentes est jeune et issue des bancs des auditoires. Une fois la manifestation terminée, certains prévoient d'ailleurs de retourner en cours.
«J’ai jamais vu autant de flics»
Keffiehs palestiniens, foulards et masques en tous genres sont de sortie, de même que quelques gilets jaunes. Côté bruit, c’est plutôt tambours et casseroles. Sur la terrasse du bâtiment de Lettres, les chahuteurs échauffent leur voix.
Un drone est visible dans le ciel, rapidement suivi au sol par une dizaine de gendarmes «zélés». «J’ai jamais vu autant de flics en Suisse», rigole une amie de Belkis. C’est le départ, au son des «Macron, démission» et des «et c’est ça que t’appelles démocratie?».
Une dizaine de membres des forces de l’ordre bloque le petit chemin permettant d’atteindre efficacement la Banane, surnom de la bibliothèque. Les manifestants retournent sur leurs pas et tentent de trouver une autre voie d’accès. Je les suis.
Le long de la rivière, ils longent l’Internef en direction du lac. Un hélicoptère nous survole. Les manifestants bousculent une première fois les policiers qui leur barrent la route. Cent mètres plus loin, le groupe s’emballe, des renforts policiers arrivent et tout s’accélère. Les militants n’iront pas plus loin, c’est le moment du spray au poivre.
Des «blessés» pris en charge
Certains réfractaires sont touchés très directement. Une jeune femme s’extrait de la foule pour retrouver l’air frais. Ses yeux sont rouges. Des représentants demandent l’intervention de soignants issus de leurs rangs pour s’occuper de leur «blessée».
Quelques minutes plus tard, elle est prise en charge par d’autres manifestants, rejoints par un gendarme avec une pochette de pharmacie. De mon côté, rien à signaler. Si ce n'est des toussotements et des picotements à la gorge. Je m'en remettrai.
La tension retombe. Le vice-recteur Benoît Frund fait l’intermédiaire entre police et manifestants. Beaucoup sont étudiants dans son institution. Il leur annonce que la police compte les garder à l’endroit où ils sont jusqu’à midi et la fin de la rencontre présidentielle.
Sous surveillance, l’accès aux toilettes est garanti. Des bouteilles d’eau seront distribuées plus tard. Le blocage durera bien plus longtemps que prévu, près de trois heures au total.