Des mots forts, teintés de colère: «On a une brute qui dirige le parti à Genève, on va être la risée de toute la Suisse!», peste un membre de l’Union démocratique du centre (UDC) du bout du Léman, qui a souhaité conserver l’anonymat. Nommé président de la section genevoise de l’UDC il y a quelques semaines seulement, le viticulteur Lionel Dugerdil semble déjà être sur la sellette, a appris Blick de plusieurs voix issues du parti conservateur.
Une vidéoconférence (avec dérapages, on y reviendra), qui aurait été initiée par la vice-présidente de l’UDC Suisse et ex-patronne de la section cantonale, Céline Amaudruz, a eu lieu le 17 janvier dernier. Avec pour but de gérer une «situation de crise», peut-on lire dans un mail. À l’origine de ce remue-ménage? Les nombreux démêlés avec la justice du nouveau président genevois, que nous avons révélés au cours des douze derniers mois.
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«Mensonges» et «menaces»?
Des camarades de parti du politicien, qui est également député au Grand Conseil, lui reprochent, très concrètement, d’avoir «menti» à l’ancien comité directeur quant à son casier judiciaire, en amont des élections fédérales, nous murmurent-ils. Et puis de s’être montré «menaçant» envers les siens, une fois épinglé pour son manque de transparence, lors de la rencontre virtuelle.
Plusieurs sources de première main révèlent la teneur du meeting anonymement. Blick s’est aussi procuré un courriel, signé Céline Amaudruz et envoyé à la petite dizaine de participants à la fameuse séance, un jour après cette dernière, en guise de synthèse.
Missive que la conseillère nationale conclut en écrivant, noir sur blanc, qu’elle ne souhaite plus avoir affaire à Lionel Dugerdil, qu’elle prend à partie: «En raison de vos réactions […], lorsque des avis divergents du vôtre sont exprimés, vous comprendrez que je ne me sens plus en mesure de discuter, ou de vous rencontrer, en l’état, sans la présence de tiers.» Car l’homme s’en serait spécifiquement pris à la politicienne, le 17 janvier, paraît-il, d’après différents témoignages concordants.
La goutte de trop
Contactée le 29 janvier, la vice-présidente de l’UDC Suisse confirme l’authenticité de son message. Elle refuse cependant de commenter plus avant les discussions qui ont eu lieu pendant cette réunion «de crise».
Pour rappel, Lionel Dugerdil a d’abord fait l’objet, il y a un an, d’un article qui révélait le «bétonnage illicite» sur son domaine à Satigny (GE). Puis, en juin de l’année dernière, nous relations l’histoire polaresque de son cambriolage qui a dégénéré: en 2020, il a cogné son cambrioleur, que lui avait amené… la police (au lieu d’embarquer le voyou directement au poste).
Dernière révélation en date, publiée le 13 janvier de cette année: cinq jours à peine après le cambriolage, le 20 mai 2020, Lionel Dugerdil a frappé un de ses voisins avec une fourche jusqu’au sang. Il a été déclaré coupable de lésions corporelles simples ainsi que de dommages à la propriété d’importance mineure et condamné avec sursis.
Nous ne savons pas spécifiquement quelles réactions ou conséquences directes ont provoqué les deux premières «affaires», à l’interne du parti. Mais, cette fois-ci, l’épisode du coup de fourche semble avoir été celui de trop — poussant les langues à se délier, notamment via nos plateformes.
Un «comité d’éthique»
En bref, la réunion interne du 17 janvier avait pour but d'«examiner ensemble la situation de crise» provoquée par «la révélation de [la] nouvelle condamnation en lien avec des actes de violence» de Lionel Dugerdil, peut-on lire dans le mail expédié par Céline Amaudruz en notre possession. Il était aussi question de revoir les «lignes directrices de [la] section encadrant les candidatures [au] comité». Cela pour «éviter de nous trouver, à l’avenir, confrontés à des situations telles que celle qui vient nous compromettre».
La question mérite d’être posée: comment Lionel Dugerdil a-t-il bien pu se retrouver à la tête de la section cantonale genevoise de l’UDC, en décembre 2023, en plus d’être député, compte tenu de son passif?
L’explication est assez simple. Aujourd’hui, à Genève, il n’y a pas vraiment d’obligation légale ni statutaire de demander le casier judiciaire d’une personne qui se porte candidate à la présidence de la section cantonale de l'UDC. Céline Amaudruz souhaiterait justement y remédier, en créant un «comité d’éthique», affirme une source présente à la fameuse séance. Un groupe dont le rôle serait de scruter la vie des candidats au comité directeur — casier judiciaire à l’appui, cette fois.
Une boîte de Pandore?
Le cas Dugerdil semble ainsi avoir fait jurisprudence. Au centre de l’attention pour avoir «menti» quant à ses casseroles, certains craignent même d’être tombés sur une véritable boîte de Pandore: «On se demande quelle sera la prochaine affaire Dugerdil, à ce stade!», a par exemple lancé un membre anxieux du parti pendant le rendez-vous virtuel, toujours d’après nos sources.
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Remontons un peu dans le temps, pour mieux comprendre, car Lionel Dugerdil aurait, en réalité, déjà été prié de présenter un casier judiciaire. Explications: il est annoncé comme candidat au Conseil d’État genevois en juin 2022. Il aurait alors fourni le document en amont des élections cantonales, probablement entre le printemps et l’automne de l’année 2022, d’après nos informations.
Le casier judiciaire du viticulteur était déjà passablement garni à ce moment-là, selon le message interne de Céline Amaudruz, qui énumère: «Dommages à la propriété, appropriation illégitime ou encore des insoumissions relevant du droit pénal militaire, voir des procédures en cours.» Pas encore de traces de la condamnation liée au coup de fourche, en revanche.
Une source proche de l'ancien comité directeur genevois explicite: «Pour les élections cantonales, il a, de toute évidence, dû donner au parti un extrait de casier qui précède l’inscription de sa condamnation du 10 mars 2022 pour le coup de fourche. Cet épisode a probablement été inscrit en été 2022, et il a fourni un document datant de juste avant l’inscription, je pense. Le parti lui a fait confiance, a validé sa candidature. Personne n’a pensé à lui demander un extrait de casier judiciaire plus récent…»
Un faux départ qui s'explique
Arrive ensuite, un an plus tard, l’échéance des élections au Conseil national et au Conseil des États. Lionel Dugerdil, appâté par un siège à la Chambre basse, aurait à nouveau été prié de présenter un extrait de casier judiciaire — à jour — pour pouvoir prendre part à la course électorale. Surprise: cette fois, il aurait refusé de montrer patte blanche (ou plutôt grise, dans son cas), avant de se retirer, annonçant que, finalement, sa «place est à Genève», sur le plateau de Léman Bleu.
La vice-présidente de l’UDC Suisse rappelle ces faits, dans son message électronique, et interpelle directement le principal intéressé: «Vous aviez décidé de vous retirer de la course pour le Conseil national, sachant que vous deviez fournir l’extrait de votre casier judiciaire, ce que nous n’avions pas discuté plus avant.»
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La politicienne ajoute: «Selon ma compréhension des choses, la nouvelle condamnation dont vous faites l’objet, en lien avec des actes de violence, a été prononcée entre les élections cantonales et les élections fédérales, à savoir encore en amont à votre élection à la tête de notre section cantonale, ce dont nous n’avions pas connaissance jusqu’ici.»
Une attitude «menaçante»?
Autre problème: une fois pris à partie et confronté à son supposé manque d’honnêteté envers le comité directeur de l’époque — sur lequel régnait alors Céline Amaudruz — lors de la séance du 17 janvier, Lionel Dugerdil aurait réagi de manière plutôt… «menaçante», avancent nos interlocuteurs.
L’une de nos sources se dit particulièrement choquée par une phrase prononcée par l’homme, au point de la noter. Bouillonnant, Lionel Dugerdil aurait vociféré, après qu’on lui a demandé de rendre des comptes quant à son passif avec la justice, et la dissimulation de ce dernier: «Vous voulez qu’on lave notre linge sale en public (ndlr: sous-entendu par le biais des médias)? On le lavera en public! Vous voulez ma démission? Vous ne l’aurez pas! […] Je ne vais pas me laisser faire, et si ça continue, tout le monde va y laisser des plumes!»
Céline Amaudruz se désolidarise
Une réaction à chaud qui aurait, à son tour, fait sortir Céline Amaudruz de ses gonds. Dans le mail rédigé après la réunion, il est insinué que la politicienne se désolidarise définitivement du président genevois.
Voici le passage en question: «Compte tenu de votre attitude et des comportements qui sont les vôtres, je n’entends plus à l’avenir donner suite aux interpellations dont je ferai l’objet de la part de tiers à votre sujet […]. Il ne m’est en effet plus possible de m’exprimer sans risque de compromettre notre parti, vous-même et en définitive ma personne.»
Contacté et confronté aux éléments ci-dessus, ni Lionel Dugerdil ni son avocate n’ont répondu à notre sollicitation. Comme lors de nos précédentes demandes.