Le nucléaire va-t-il bientôt fêter son grand retour sur la scène helvétique? Si le Conseil fédéral rejette l'initiative «Blackout», il met sur la table un contre-projet indirect qui pourrait bien marquer un véritable tournant politique au sujet du nucléaire. Le ministre de l'Énergie Albert Rösti se donne jusqu'à la fin de l'année pour proposer une modification de la loi visant à garantir la sécurité de l'approvisionnement énergétique à long terme.
Mais que veut initiative «Blackout»? Que propose exactement le Conseil fédéral avec son contre-projet? Quelles sont les conséquences potentielles que ces deux textes pourraient avoir sur l'approvisionnement en énergie de la Suisse? Blick vous explique tout.
Que veut l'initiative «Blackout»?
En 2017, les électeurs suisses ont voté en faveur d'une interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires. Quant aux infrastructures actuelles, elles peuvent continuer à être exploitées si tant est qu'elles soient sûres.
L'initiative «black-out» veut renverser l'interdiction de construire de nouvelles centrales, sans toutefois l'exiger explicitement. Le texte de l'initiative stipule seulement que toute production d'électricité doit être respectueuse de l'environnement et du climat. Si l'initiative venait à passer la rampe, une nouvelle phrase figurerait dans notre Constitution: «Tous les modes de production d'électricité respectueux du climat sont autorisés.»
Qui est derrière cette initiative?
L'initiative a été lancée par le Club Suisse de l'Energie (ECS), une alliance de divers milieux bourgeois, composée notamment de représentants de l'UDC, du PLR, du Centre et de différentes associations économiques.
Que disent les opposants?
Même certains partisans acharnés de l'atome critiquent l'initiative au motif que l'énergie nucléaire n'y est même pas mentionnée. A ce titre, le Forum nucléaire suisse, qui s'engage pour un développement pacifique de l'énergie nucléaire, ne soutient pas le texte. En lieu et place, l'organisation demande des «modifications concrètes et ciblées» de la loi sur l'énergie nucléaire. Exactement comme le prévoit le Conseil fédéral.
Les opposants au nucléaire, les organisations de défense du climat, les partis de gauche ainsi que les Verts libéraux rejettent l'initiative par pure conviction. L'énergie nucléaire est coûteuse et le problème des déchets nucléaires n'est toujours pas résolu, martèlent-ils. De plus, les nouvelles centrales nucléaires arriveraient selon eux trop tard, raison pour laquelle la Confédération devrait pleinement miser sur le développement des énergies renouvelables.
Que dit le contre-projet du Conseil fédéral?
Le Conseil fédéral soutient l'orientation générale de l'initiative, à savoir la suppression de l'interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires. Mais de son point de vue, cela ne nécessite pas de modification constitutionnelle: il suffit d'adapter les lois. Les Sept sages rejettent également l'initiative parce qu'elle pourrait remettre en question l'exploitation de centrales de réserve en cas de pénurie d'électricité.
Dans quelle mesure de nouvelles centrales nucléaires peuvent-elles voir le jour en Suisse?
Pour l'expert en énergie Christian Schaffner, directeur de l'Energy Science Center (ESC) de l'EPFZ, il y a peu de raisons de penser qu'une nouvelle centrale nucléaire verra le jour en Suisse dans un avenir proche. Car même si le projet était accepté, il faudrait tout de même attendre 15 à 20 ans avant de devoir en construire une. «D'ici là, nous devrions déjà avoir maîtrisé notre approvisionnement en électricité», explique Christian Schaffner. Le développement des énergies renouvelables doit donc se poursuivre coute que coute et le raccordement au réseau international doit continuer à fonctionner, affirme-t-il.
De même, si une centrale se met à fonctionner au moment où les installations éoliennes et solaires peuvent produire leur capacité maximale, il lui sera compliqué de vendre l'électricité disponible. «Des coûts sont alors générés pour de l'électricité dont personne n'a besoin», explique Christian Schaffner.
Quel serait l'impact réel de l'initiative ou du contre-projet?
«La question est de savoir si nous pourrons maîtriser notre approvisionnement en électricité d'ici à 2040», explique Andreas Pautz, professeur d'ingénierie nucléaire à l'EPFL. «Nous avons un problème de temps des deux côtés», assure-t-il.
Si les technologies de stockage comme l'hydrogène ou le power-to-X ne font pas leurs preuves, les centrales nucléaires pourraient tout à coup revenir sur le devant de la scène – pour autant qu'elles puissent être construites. L'initiative Blackout ou le contre-projet de la Confédération prépareraient la Suisse à cette éventualité. D'ici là, estime Pautz, les petits réacteurs dits modulaires (Small Modular Reactors) pourraient être prêts à être commercialisés et faire baisser les coûts d'investissement de l'énergie nucléaire.
Pour l'heure, vu que les prochaines années offriront une valeur plus élevée à l'énergie éolienne et solaire, les entreprises du secteur de l'électricité ne sont que moyennement intéressées par la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Du moins tant que la Confédération ne les subventionne pas. Le ministre de l'Énergie Albert Rösti s'est montré discret à ce sujet – tout en sachant que cela devrait être le grand point de friction.
Une nouvelle génération de mini-centrales nucléaires?
Villigen AG étudie actuellement l'avenir de l'approvisionnement énergétique. En collaboration avec la startup danoise Copenhagen Atomics, le plus grand institut de recherche suisse en sciences naturelles et en ingénierie envisage de construire un petit réacteur nucléaire modulaire. Cette nouvelle génération de centrales nucléaires se veut plus sûre, plus respectueuse de l’environnement et plus rentable.