Longtemps abandonné, longtemps tabou, le débat autour du nucléaire est relancé. Fustigé pour son impact environnemental, le recours atome est désormais perçu par le camp bourgeois comme une solution «bas carbone» pour assurer l'approvisionnement énergétique et réduire les émissions de CO2. De l'accident de Fukushima à la guerre en Ukraine, les priorités ont changé en une décennie.
Le 11 mars 2011, la catastrophe nucléaire la plus grave après celle de Tchernobyl en 1986 s'est déroulée à Fukushima, au Japon. Elle a eu des conséquences durables, également pour la Suisse. Trois jours après l'événement, Doris Leuthard (PDC), la ministre de l'énergie de l'époque, suspendait les demandes de construction de trois nouvelles centrales nucléaires déposées par des entreprises électriques en 2008. Le 25 mai 2011, le Conseil fédéral décidait officiellement d'abandonner progressivement l'énergie atomique.
En mai 2017, le peuple suisse confirmait la voie choisie en approuvant la Stratégie énergétique 2050 et donc la sortie progressive du nucléaire. Jusqu'à présent, seule une centrale, celle de Mühleberg (BE), a été fermée, à la fin 2019. Les autres centrales nucléaires (Beznau I et II en Argovie, Gösgen SO et Leibstadt AG) devraient continuer d'alimenter le réseau en électricité dans les années à venir. Tant qu'elles sont considérées comme sûres, elles continueront de le faire.
Guerre en Ukraine
Les préoccupations liées aux changements climatiques et un autre événement international ont par la suite redessiné les positions en matière de politique énergétique: l'agression russe en Ukraine, déclenchée en février 2022. Le conflit a eu des conséquences sur l'approvisionnement européen en gaz.
Couplées à des problèmes techniques dans plusieurs centrales nucléaires françaises, ces répercussions ont accru les risques pour la sécurité de l'approvisionnement en électricité en Suisse durant l'hiver 2022-2023. Si la pression est légèrement retombée, le risque subsiste et les défis pour les prochains hivers restent élevés, ne cesse d'avertir l'actuel ministre de l'énergie Albert Rösti (UDC).
Dans cette optique de sécurité énergétique, le groupe électrique Axpo étudie actuellement la possibilité de prolonger l'exploitation de Beznau après 2030. La durée d'exploitation de la centrale nucléaire, la plus vieille en activité du monde, est prévue pendant 60 ans au total. Le bloc de réacteur Beznau I a été couplé au réseau en 1969 et le bloc II en 1971.
Débats en vue au Parlement
Mercredi, l'actuel ministre de l'énergie Albert Rösti (UDC) a renversé la vapeur en présentant la position gouvernementale à l'égard de l'initiative populaire «De l'électricité pour tous en tout temps (Stop au blackout)». Le Conseil fédéral est favorable à lever l'interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires. Auparavant, sous son impulsion, le gouvernement s'était déjà montré ouvert à examiner la question. Grâce aux voix du centre-droit, le Conseil des Etats a adopté en mars dernier un postulat de Thierry Burkart (PLR/AG) demandant d'évaluer ce scénario.
La priorité de l'Argovien est d'assurer correctement l'approvisionnement énergétique. Un postulat de même teneur déposé par Erich Hess (UDC/BE) n'a lui pas passé la rampe au National en juin passé. Mais le Parlement débattra de toute façon de la question, en raison de l'initiative, déposée par une alliance de droite, composée de représentants de l'UDC, du PLR et du Centre.
A peine déposé, le texte a été attaqué par les opposants au nucléaire. Ceux-ci rappellent la gestion problématique des déchets nucléaires. Ils avancent aussi que la construction de nouvelles centrales ne permet pas d'assurer l'approvisionnement en électricité à court et moyen terme. Le débat, tout juste relancé, s'annonce déjà vif.
A l'international aussi
La thématique est également clivante à l'international. Au sein de l'Union européenne (UE), les avis sont partagés. Parmi les voisins de la Suisse, l'Allemagne a récemment débranché ses derniers réacteurs, tandis que la France a décidé de relancer la filière.
Une trentaine d'Etats européens et non européens, dont la France justement, a réaffirmé en mars la place du nucléaire dans la stratégie énergétique lors d'un sommet à Bruxelles. Le mois suivant, les eurodéputés ont entériné une réforme du marché de l'électricité de l'UE, en vue notamment de doper les investissements dans les énergies décarbonées, comme le nucléaire.
L'énergie atomique figure aussi dans l'accord final de la COP28, qui s'est tenue à Dubaï en fin d'année dernière. Elle est citée au rang des solutions pour la lutte contre le réchauffement climatique, décrite comme faisant partie des technologies «zéro carbone» et «bas carbone».