Et voilà, c’est fini! Le second tour des élections législatives françaises s’est achevé dimanche soir par la victoire inattendue du Nouveau Front Populaire, la coalition de la gauche unie. Laquelle demeure toutefois très loin d'obtenir une majorité absolue des sièges, avec 182 députés sur 577. Chaque jour, nous avons suivi cette campagne à travers nos chroniques en 5 infos.
Nous aussi, nous n'avions pas vu venir cette (petite) vague rose. Alors, gardons l’esprit critique: pourquoi cette percée de la gauche n’avait pas été repérée? Est-ce vraiment une surprise?
Les sondeurs, trompés par le barrage
Comment mesurer un retournement de l’opinion? Les instituts de sondage avaient plutôt bien anticipé certains résultats de ce second tour. La gauche était ainsi donnée forte, au point que certains la voyaient faire jeu égal avec le Rassemblement national. Elle termine à 182 sièges, ce qui est conforme aux prévisions. La première grande erreur des sondeurs a été de surestimer la capacité des candidats du RN à résister dans le cadre de duels, alors que la campagne médiatique anti-RN était puissante, et que plusieurs candidats de ce parti ont été mis en cause pour leurs propos ou leurs agissements. A 143 sièges (dont 17 pour les ralliés d'Eric Ciotti) au lieu de 200, voire 220 ou 230, le parti de Marine Le Pen dégringole. Leur seconde erreur a été de sous-estimer la résistance de la coalition présidentielle, avantagée par son grand nombre de sortants (au total 168 sont élus). Les sondeurs ont scruté les électeurs en oubliant les effets du système électoral majoritaire. Or en France, ce type de scrutin exige des alliés. Le RN n’en a pas trouvé dans ses circonscriptions.
En clair: Le plafond de verre anti RN demeure anti-chocs.
Les médias, obsédés par la vague RN
Les médias ont raté la forte progression du vote de gauche parce qu’ils ont sous-estimé leur propre efficacité à influer sur l’opinion. C’est l’ironie de l’histoire. Dès la fin du premier tour, la campagne médiatique anti-RN a été très forte, contrée seulement par la chaîne CNews et le groupe de presse du milliardaire Vincent Bolloré. Marine Le Pen a d’ailleurs, dimanche soir, dénoncé ces attaques médiatiques. Elle a un peu raison sur ce point. Le «barrage républicain» n’a pas été présenté comme une option par la plupart des médias, mais comme une nécessité. Le paradoxe est que ces derniers ne croyaient peut-être pas à une telle efficacité de leur campagne. Erreur. Cette mobilisation a produit ses fruits. Et c’est pourquoi elle attisait dimanche soir la colère des partisans du RN.
En clair: Impossible d’accéder au pouvoir sans un fort soutien médiatique.
Emmanuel Macron, aveugle sur lui-même
Le président français a cru, jusqu’au bout, que les électeurs qui l’ont soutenu en 2017 et 2022 reviendraient au bercail, après s’être égarés sur d’autres listes aux élections européennes. Macron a cru, aussi, que sa décision démocratique de dissoudre l’Assemblée lui vaudrait une forme de reconnaissance. Or ce qui s’est passé a contredit tous ses plans. Certes, le camp présidentiel fait mieux que sauver les meubles, même s'il perd une centaine de sièges. Symboliquement, son arrivée devant le RN lave l'affront de son échec aux Européennes du 9 juin. Mais le chef de l’État est bien plus contraint aujourd’hui par ce vote qu’il ne l’était avant la dissolution. Son jeune Premier ministre Gabriel Attal, qui va lui présenter sa démission ce lundi, est déjà lancé vers la présidentielle de 2027. Il s'est affranchi de sa tutelle élyséenne. Macron n’a pas vu qu'il terminerait de plus en plus isolé, parce qu’il ne voulait pas voir.
En clair: A dissolution tactique, bouleversement stratégique.
Marine Le Pen, mal préparée au second tour
La future cheffe du groupe Rassemblement national à l’Assemblée n’a pas vu venir ce retournement électoral entre les deux tours. Logique. Elle s’est laissé bercer par les soutiens de ses partisans, par les sondages prometteurs, et par l’assurance frisant l’arrogance de Jordan Bardella. Marine Le Pen aurait dû voir venir le risque. Elle aurait dû lancer une contre-offensive. Problème: son meilleur allié à droite, Éric Ciotti, s’est retrouvé bien plus marginalisé qu’il ne le pensait dans son propre camp. Il a manqué à Marine Le Pen ce que Jean-Luc Mélenchon a démontré, dès la dissolution: un instinct politique redoutable. Et une volonté de s’imposer coûte que coûte.
En clair: Le RN a joué défensif, la gauche a repris l'offensive.
Les anti-Mélenchon, coincés par «Meluche»
L’heure du mea-culpa a sonné pour Blick. Nous avions intitulé une de nos chroniques «Ils veulent tuer Mélenchon (et ça ne les fera pas gagner)». Erreur de titre. Les anti-Mélenchon ont bien essayé de tuer politiquement le leader de LFI. Mais ils n’y sont pas arrivés et c’est pour ça qu’ils ont gagné. La victoire de la gauche est en effet assez largement le résultat de la grande habileté du leader de LFI, convaincu que seule l’union fait la force à gauche. Succès aussi dû au terme magique «Front Populaire», lesté d'histoire. Tous ceux de son parti qui ont pris leurs distances vis-à-vis de lui viennent de constater qu’il demeure un stratège hors pair, et un communicateur redoutable. En donnant son aval à une alliance électorale de la gauche, quitte à limiter les gains de LFI (80 élus, stable par rapport à 2022) et à permettre au PS de se refaire une santé (65 élus au lieu de 31), «Méluche» a démontré qu'il reste incontournable. Le tribun septuagénaire garde l’œil sur la présidentielle de 2027. Ses adversaires à gauche veulent toujours le marginaliser. Après cette prouesse électorale, ce sera encore plus difficile.
En clair: Mélenchon et le Front populaire, deux marques performantes.