Il sera sans doute l’objet de toute l’attention d’Emmanuel Macron, lors du premier conseil des ministres du nouveau gouvernement français, ce lundi 23 septembre au palais de l’Élysée. Laurent Saint-Martin, 39 ans, est le nouveau ministre du Budget et des comptes publics. C’est lui qui a maintenant en mains les clés de la caisse «France». Une caisse vide. Le Premier ministre lui-même l’a reconnu dans son entretien télévisé du 22 septembre: «la signature de la France doit être protégée.» Sous-entendu: la capacité du pays à rembourser ses dettes ne doit pas être mise en péril.
Pourquoi parler de Laurent Saint-Martin plus que d’Antoine Armand, le nouveau ministre de l’Économie et des Finances, ex-député de Haute-Savoie, âgé de 33 ans? Parce qu’un élément de leurs nominations respectives prouve que l’heure est grave, et que le conservateur Michel Barnier, 73 ans, en est parfaitement conscient.
Comptes publics chez le Premier ministre
Le ministre des comptes publics est en effet directement rattaché au Premier ministre. C’est avec lui qu’il doit concocter le projet de budget pour 2025, qui découlera des lettres de cadrage déjà envoyées aux différents ministères par Bercy, le QG parisien du ministère des Finances. La France est au bord du gouffre budgétaire, et Barnier entend bien éviter la chute programmée si rien n’est fait.
Symbole là aussi: la première passation de pouvoir entre anciens et nouveaux ministres a eu lieu à Bercy dimanche. Bruno Le Maire, le sortant, qui tenait les clés financières du pays depuis 2017, a remis à son successeur un bâton de marche du Pays basque, avant lui-même de venir enseigner en Suisse, à l’université de Lausanne. Le message: préparez-vous à de douloureux efforts.
La première réponse de Michel Barnier est venue le soir même devant les caméras de France 2. Oui, l’heure est grave. Le nouveau Premier ministre a cité deux chiffres: celui de la dette record, supérieure à 3000 milliards d’euros, et celui des intérêts que la France doit rembourser chaque année à ses créanciers: 50 milliards, soit un peu moins que le budget annuel de 63 milliards alloué au ministère de l’Éducation nationale!
Dette publique et investisseurs internationaux
L’ancien Commissaire européen aux services financiers a en plus insisté sur une particularité française: la dette contractée par la République est détenue à près de 55% par des investisseurs internationaux. Ceux-là scrutent donc l’économie nationale. Car ils savent qu’à l’Assemblée, deux forces politiques majeures, le Rassemblement national (droite nationale-populiste) et la gauche, plaident pour une injection d’argent public dans l’économie, pour une augmentation des salaires et du pouvoir d’achat et pour l’abrogation de la réforme du régime des retraites entrée en vigueur en septembre 2023.
Comment faire dans ce cas? Le plus urgent est de tirer de toutes ses forces le signal d’alarme, alors que le débat budgétaire va démarrer début octobre avec quelques jours de retard. Il faut faire peur. Car la situation l’exige: «La France est loin de bénéficier d’une situation d’endettement stabilisée note dans le quotidien économique Les Echos le banquier Olivier Klein. Tôt ou tard, une crise de refinancement interviendra.»
Et d’ajouter, en guise d’avertissement: «Eu égard au niveau comparativement très élevé des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires en France (record mondial), il est bien plus efficace de réduire les premières et de ne pas augmenter les seconds […] Le choix entre baisses de dépenses et hausses des impôts est peut-être un choix politique, mais il n’est sûrement pas pertinent en termes d’efficacité économique dans la situation de la France.»
Le ministre sortant des Finances Bruno Le Maire est assailli de critiques. Son bilan est associé à l’explosion de la dette et du déficit, qui pourrait frôler les 6% à la fin 2024. Mais son entourage refuse d’accuser le coup. La responsabilité est pointée vers Emmanuel Macron, ce président qui a sans cesse fait des chèques pour désamorcer les crises. On se souvient, dès le début de son premier quinquennat, des 17 milliards d’euros injectés pour calmer les «gilets jaunes». Les pro-Le Maire soulignent aussi que le dérapage des dépenses des collectivités locales est bien réel. En clair: le panier français est percé.
Résultat: il va falloir payer. «Il faudra bien tondre quelqu’un, et ce sera nous», s’énerve un cadre d’une grande multinationale américaine, dans le collimateur du fisc français. Michel Barnier l’a confirmé: des hausses d’impôts auront lieu. Elles pénaliseront les classes les plus riches et les entreprises les plus prospères qu’Emmanuel Macron a justement cherché à attirer en France depuis sept ans à coups d’exonérations fiscales. Comment rester attractif dans ces conditions? Michel Barnier, homme de droite, peut-il lancer son mandat compliqué, sans majorité à l’Assemblée nationale, par de nouvelles taxes?
Ras-le-bol fiscal
«La France plonge, donc il va falloir payer», précise un haut fonctionnaire de Bercy. Sauf que le patient français a besoin d’emplois, de productivité, de création de richesses. Et sauf que les Français en ont marre. Le président de la Cour des comptes Pierre Moscovici, ancien ministre des Finances socialiste, a de nouveau mis en garde sur le «ras-le-bol fiscal». «Le consentement à l’impôt est fragile», a-t-il répété. Le bord du gouffre n’est pas loin.