Autorité. Valeurs. Mesures emblématiques pour juguler l’immigration. Et, bien sûr, coup de pouce au pouvoir d’achat des ménages, ce qui conduira une nouvelle fois la France à aggraver son déficit public. Telle est la feuille de route non écrite, mais évidente, du gouvernement que le Premier ministre français Michel Barnier, 73 ans, a promis de dévoiler cette semaine.
Les Affaires étrangères et la défense demeureront les «domaines réservés» du président de la République, avec lequel l’ancien négociateur du Brexit a entamé depuis sa nomination une «coopération exigeante», selon les termes de l’Élysée. C’est donc sur le terrain domestique que la bataille va se jouer. Avec deux objectifs prioritaires: ne pas tomber après le vote d’une motion de censure, et échapper à l’étreinte du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen.
Otage de Le Pen
Pour la plupart des médias français, la messe est dite: Barnier est l’otage de Marine Le Pen et des 143 députés dont elle contrôle le vote à l’Assemblée nationale (126 pour le Rassemblement national et 17 pour ses alliés de droite autour d’Éric Ciotti). Certains vont même jusqu’à affirmer qu’Emmanuel Macron a nommé l’ex-commissaire européen avec l’aval de la cheffe du RN. Celui-ci serait donc, en clair, prisonnier du parti national populiste qui peut à tout moment décider de voter la censure.
Faites le calcul: il faut la majorité absolue de 289 députés sur 577 pour faire tomber le gouvernement. Le Pen en a 143. La France Insoumise en compte 72, résolus à tout faire pour censurer un gouvernement Barnier. Total: environ 215. Il resterait donc à en trouver 80, a priori chez les écologistes, les communistes et les socialistes. Et patatras: Michel Barnier pourra retourner à sa retraite.
L’atout de Barnier
Un obstacle majeur s’oppose à ce scénario: l’improbabilité d’un vote conjoint de la gauche radicale et du RN. C’est le meilleur atout de Michel Barnier, et c’est d’ailleurs aussi le constat de Marine Le Pen. Lors des journées parlementaires de son parti ce week-end, celle-ci n’a pas parlé de faire tomber le gouvernement, mais de sa conviction d’un pays ingouvernable, faute de majorité. Ce qui conduira selon elle Emmanuel Macron à dissoudre une nouvelle fois l’Assemblée nationale dès que la Constitution le lui permettra à nouveau: c’est-à-dire à partir de juillet 2025, un an après les récentes législatives anticipées.
Une hypothèse est toutefois trop peu évoquée, à quelques jours de l’entrée en fonction du nouveau gouvernement français qui remplacera celui de Gabriel Attal, démissionnaire depuis le 16 juillet: celle d’une victoire de Barnier face à Le Pen. Le scénario: le nouveau Premier ministre, homme de droite, conservateur résolu mais ouvert au dialogue social, navigue habilement entre la droite et le centre gauche. Il campe sur l’autorité de l’État. Il mise tout sur l’action dans les territoires. Il joue l’efficacité contre l’idéologie. Il soigne sa popularité et en fait un argument anti-Le Pen.
Le RN le dos au mur
Bref, Barnier met le RN le dos au mur en l’écoutant, en le respectant, en démontrant l’impossibilité de son programme (notamment sur le plan budgétaire) et en s’adressant directement aux Français, par exemple par un référendum. Et, simultanément, il compte sur la non-agression des socialistes. L’important, encore une fois, est que la gauche et le RN ne votent pas ensemble une motion de censure. Qu’ils votent séparément et échouent à le renverser serait pour lui une victoire.
Mieux: Michel Barnier peut prendre le RN au piège de la respectabilité. Le parti national populiste veut apparaître comme un parti de gouvernement crédible. Contrairement à La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen ne mise plus sur le vote protestataire. Comment pourrait-elle, dès lors, bloquer l’adoption du budget dont le débat parlementaire commencera le 1er octobre ou quelques jours plus tard? Être crédible, n’est-ce pas avoir conscience des contraintes européennes? Ne pas mettre le pays en faillite?
Un mille-feuilles administratif
S’il parvient à cela, Michel Barnier, avec des ministres au profil technique, mais politiquement enracinés et disposant d’un bon réseau, pourra avancer. Il ne réformera pas. Il n’accumulera pas les lois. Il fera du sur place législatif. Et alors? En France, les lois s’empilent tellement que l’on parle de «mille-feuilles administratif».
Michel Barnier otage de Marine Le Pen? Et si, en réalité, c’était le contraire qui finissait par arriver? Premières réponses dans les prochains jours...