Le cor des Alpes de l’Élysée a résonné dans ses oreilles et lui a fait quitter ses contreforts savoyards bien aimés. Michel Barnier, 73 ans, ancien négociateur européen du Brexit et ex-candidat à la présidentielle française de 2022 a cédé aux sirènes de Matignon: Macron l'a nommé Premier ministre.
Son nom, c’est notable, avait à peine fait le tour des rédactions parisiennes. Mais il a quand même fait surface dans la soirée du mercredi 4 septembre, après un nouveau tour de chauffe pour David Lisnard, l’élu de Cannes, président de l’influente Association des maires de France.
Emmanuel Macron avait déjà pensé dans le passé à recruter ce politicien de droite, gaulliste de conviction, toujours resté fidèle à son parti Les Républicains. Ancien vice-président de la Commission européenne en charge du marché intérieur et des services, cet excellent skieur qui avait superbement co-présidé le comité d’organisation des Jeux olympiques d’hiver d’Albertville en 1992, aurait pu être l’un des «ralliés» des débuts, comme Bruno Le Maire (ministre des finances démissionnaire) ou Gérald Darmanin (ministre de l’Intérieur démissionnaire).
Sauf que le tempérament présidentiel ne s’est jamais accommodé de l’intransigeance du montagnard. Michel Barnier n’aime les slaloms que sur les pentes enneigées. Pour le reste, son itinéraire a plutôt été droit, et à droite, comme ministre et parlementaire sous les présidences de François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy.
Risque politique
Pourquoi donc jouer le jeu d’Emmanuel Macron in extremis, et prendre le risque de terminer sa carrière politique en queue de poisson, à la tête d’un gouvernement qui pourrait, à tout moment, être renversé par une majorité de députés d’opposition à l’Assemblée nationale? La réponse, selon plusieurs sources, tient en cinq «moments» à surveiller de près dans les heures et les jours qui viennent.
1. Le «moment» Macron: Rallier le président de la République aujourd’hui n’aurait pas du tout, pour Michel Barnier, le même sens que s’il avait répondu présent plus tôt. D’abord parce qu’Emmanuel Macron, en difficulté, se retrouve contraint d’accepter une forme de cohabitation avec son futur Premier ministre. Ensuite parce que le chef de l’État ne peut pas se représenter pour un troisième mandat en mai 2027. Il ne s’agira dès lors pas d’un ralliement. Ou plutôt si, disent ceux qui le connaissent bien: «Ce sera Macron qui se sera rallié à Barnier, pas le contraire.»
2. Le «moment» RN: Michel Barnier se targue, parmi les politiciens de la droite traditionnelle, d’avoir toujours entretenu des relations correctes avec le Rassemblement national, qu’il a politiquement combattu, en particulier au Parlement européen. L’intéressé avait aussi, lors de sa candidature présidentielle de 2022, tapé très dur sur le laxisme migratoire. Il proposait alors «un moratoire pour reprendre le contrôle de la politique d’immigration». De quoi permettre un éventuel cessez-le-feu avec le puissant groupe parlementaire de Marine Le Pen, qui compte 126 députés, le plus important de l’Assemblée. Une chose est sûre en revanche: la détestation est maximale entre l’ancien candidat sérieux de la droite, Xavier Bertrand, et le RN.
3. Le «moment» européen et financier: La France est, depuis la fin juillet, sous surveillance de la Commission européenne pour son déficit budgétaire excessif. Et le futur projet de loi de finances pour 2025 sera très dur à faire voter par une majorité de députés. Or Barnier a l’expérience des marchés financiers. Il peut incarner un recours, une sorte de gardien de la stabilité comme le furent, dans une Italie au bord du gouffre, l’ancien commissaire européen Mario Monti (2012-2013) et Mario Draghi (2021-2022)
4. Le moment «à droite»: Michel Barnier, septuagénaire, aura 76 ans lors de la prochaine présidentielle de 2027. Un âge qui pourrait le dissuader d’entrer dans la course. Ce qui laissera la voie ouverte à Edouard Philippe, qui avait déclaré sa candidature mardi, et à Laurent Wauquiez, l’actuel chef de la droite qui rêve aussi de l’Élysée («Ils ne s'apprécient pas du tout, mais il ne s'opposerait plus à lui car Barnier n'est plus un rival et un danger immédiat, contrairement à Xavier Bertrand» estime un proche). Bref, le Savoyard ne fâcherait personne dans son camp, d’autant que le Premier ministre nommé sera sur un siège éjectable. Mieux: il connaît très bien les arcanes du Parlement. Et il est apprécié à gauche. Il pourrait même annoncer des mesures sociales pour désamorcer le risque de grandes manifestations.
5. Le moment «international»: La France est en crise. Elle est, depuis 50 jours, dirigée par un gouvernement en «affaires courantes». Elle sort d’une belle réussite olympique dont Michel Barnier n’hésitera pas à porter l’étendard. Lui et Macron sont d’accord sur l’agenda européen, le soutien à l’Ukraine, le besoin de souveraineté de l’UE. Son expérience passée à négocier le Brexit avec l’ex-Premier ministre britannique Boris Johnson l’a aussi préparé à affronter, s’il le faut, les méthodes populistes d’un certain Donald Trump.
Enfin, puisqu’il faut bien trouver un motif de satisfaction helvétique: Michel Barnier connaît très bien la Suisse, et le dossier des négociations bilatérales entre Berne et Bruxelles.
Vous avez dit, le Premier ministre idéal?