Ce dimanche de retour de vacances sera peut-être aussi, en France, un jour de «reset» politique. Du jamais vu sous la Ve République, le régime politique en place depuis 1958 et le retour au pouvoir du Général de Gaulle (qui démissionna ensuite en 1969)! Emmanuel Macron n’a en effet pas d’autre choix que de nommer un Premier ministre dépourvu de majorité à l’Assemblée nationale. Tel est le résultat des élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet. Impossible d’imaginer que le prochain chef de gouvernement puisse réunir de façon durable les 289 députés indispensables à la majorité absolue. Il devra négocier pied à pied. Il sera en permanence exposé à une motion de censure qui l’obligerait à démissionner avec l’ensemble de ses ministres.
Un dimanche sous haute tension donc, à la veille de la rentrée scolaire? Possible. Lundi ou mardi sont aussi évoqués. Mais quoi que décide Emmanuel Macron – il peut, selon la constitution, nommer le Premier ministre qu’il veut, quand il veut – son mal de tête politique ne se dissipera pas. Et ce, pour au moins cinq raisons.
Le Premier ministre lui tiendra tête
L’entourage du président français confie que celui-ci se prépare à une «cohabitation». C’est-à-dire à un gouvernement qui ne sera pas le sien, mais celui du Premier ministre qu’il aura nommé. Les ministres, même s’il s’agit de personnalité indépendante et respectée, devront aussi passer sous les fourches caudines des partis qui accepteront de soutenir le pouvoir exécutif, ou du moins de ne pas le censurer. Oubliée, la relation présumée «filiale» avec le sortant Gabriel Attal, 35 ans, qui lui devait tout (même s’ils sont désormais un peu fâchés en raison de la dissolution présidentielle surprise de l’Assemblée, le 9 juin). Macron va se retrouver de facto retranché dans son palais de l’Élysée. Il va conserver son «domaine réservé», à savoir les Affaires étrangères et la défense. Mais Jupiter devra descendre de son piédestal. Sa rencontre annonçée lundi avec Bernard Cazeneuve devrait le démontrer.
L’Assemblée sera imprévisible
Le meilleur scénario, pour Emmanuel Macron, serait que son futur Premier ministre parvienne à sceller un contrat de coalition avec un arc-en-ciel politique allant des socialistes à la droite traditionnelle. Mais sur quelle base? Et avec quels gains pour ces formations qui accepteraient le compromis? La force du président est que son parti centriste Renaissance est incontournable, avec une centaine de députés. Sa faiblesse est qu’il ne pourra pas se représenter pour un troisième mandat en 2027. Il va donc vite se retrouver «canard boiteux» comme on dit aux États-Unis. Très vite, les ambitions des personnalités les plus en vues de droite et de gauche vont reprendre le dessus. L’Assemblée nationale redeviendra imprévisible. Seule façon de ne pas tomber dans une embuscade: ne rien faire. Le président «disrupteur» va finir son mandat englué dans l’immobilisme.
François Hollande est de retour
Le nom de l’ancien président socialiste français (2012-2017) ne vous dit peut-être rien. D’une façon générale, l’ex Chef de l’État traîne derrière lui l’image d’un quinquennat raté, puisqu’il n’a même pas pu se représenter. Hollande est l’homme à qui Emmanuel Macron doit beaucoup, et qu’il a décidé de tuer politiquement. Il était l’un de ses plus proches collaborateurs à l’Élysée. Or parmi les noms de Premier ministre cités figure celui de l’ex-chef du gouvernement socialiste Bernard Cazeneuve, très proche de François Hollande. Les deux incarnent une social-démocratie de compromis. Les deux n’ont jamais accepté la volonté de Macron de dépasser les partis politiques. S’il nomme Bernard Cazeneuve, le président français se condamnera à vivre avec le fantôme de son prédécesseur. Et à affronter le même cauchemar que celui-ci: la guérilla incessante de la gauche radicale qui criera à la «trahison».
La droite veut sa peau
Emmanuel Macron a un allié dont il ferait peut-être bien de se passer: Nicolas Sarkozy. L’ancien président français (2007-2012) plaide ce samedi 31 août dans Le Figaro pour une coalition de droite, car il estime que le pays est majoritairement conservateur, ce qui est vrai si l’on prend en compte les électeurs du centre, de la droite traditionnelle, du Rassemblement national et de la dissidence de droite nationale d’Eric Ciotti. Sauf que du côté de la droite, Macron n’a que des coups à prendre. L’actuel homme fort des «Républicains» le président de la région Rhône-Alpes Auvergne Laurent Wauquiez, lorgne son siège. La droite estime que Macron l’a blessé à mort en recrutant dès 2017 une partie de ses ténors, comme le ministre de l’Économie Bruno Le Maire et celui de l’Intérieur Gérard Darmanin. Gouverner à droite, en plus, conduirait Macron, immanquablement, à accepter un durcissement de la politique sur l’immigration, donc à faire le jeu du Rassemblement national. Alors qu’il a bâti sa présidence sur le barrage à cette formation d’extrême-droite.
Le pays réel ne l’aime pas
Il y a, sur le papier, une solution alternative pour Emmanuel Macron: jouer le «big bang» du pays réel et désigner un Premier ministre qui soit un grand baron politique des régions. Par exemple le maire d’une grande ville. Ou le président d’une région. Une personnalité qui jouerait la décentralisation contre Paris, et qui pourrait convaincre une majorité de députés de le soutenir sur un agenda de projets concrets, proches des gens. Ce chef du gouvernement pourrait proposer, en accord avec le président, un ou plusieurs référendums. C’est une solution qui pourrait convenir à l’influent président conservateur du Sénat Gérard Larcher, qui se veut l’avocat des territoires. On parle du président de l’Association des maires de France David Lisnard (droite), de la présidente de l’Occitanie Carole Delga (socialiste) ou du maire de Saint-Ouen (banlieue nord de Paris, épicentre des Jeux olympiques) Karim Bouamrane. Sauf que Macron n’est pas apprécié en province. Son électorat est celui de l’élite urbaine. Macron n’a jamais su et voulu décentraliser en sept ans. Pourquoi le ferait-il aujourd’hui? «Le problème pour lui, c'est son rapport avec le peuple, note un familier de la présidence. Et cela ne se réglera plus. C'est trop tard».