J’avais pensé, avant l’été, lancer l’idée d’un abandon pur et simple des Jeux Olympiques et paralympiques de l’été 2024. Un abandon justifié, imposé par la situation à moins d’un an de leur ouverture, le 26 juillet 2024. Je sais. Je rêve. Annulation, report, déplacement: tout cela est impensable pour le pays hôte, surtout pour le centenaire de cette compétition inspirée de l’antiquité grecque, relancée en 1896 et organisée pour la première fois à Paris du 5 au 27 juillet 1924.
Mais bon, je m'interroge quand même: Est-ce que franchement, la France submergée de problèmes de sécurité liés au terrorisme, percluse de fractures sociales et communautaires et écrasée par une dette publique record, a besoin de ce grand raout sportif pour lequel son impréparation inquiète?
Gare aux fausses rumeurs
Je sais qu’en écrivant cela, tous mes collègues journalistes sportifs vont me tomber dessus. Silence! La France n’a-t-elle pas, au contraire, besoin de l’élan Olympique pour se refaire une santé nationale? Et puis stop au JO-bashing! Paris, affirment les disciples autoproclamés de Pierre de Coubertin, n’est pas du tout en retard coté infrastructures.
Fausses rumeurs! Mauvaise foi! Tout se déroule au contraire, disent-ils, comme prévu en Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre du pays où seront cantonnés un bon nombre de compétitions et le village olympique! Mieux, affirme ce lobby pro-JO: la France, ce pays d’ordinaire si dépensier, va stupéfier le monde en tenant son budget ric-rac (4,8 milliards d’euros, déjà réévalué). Alors qu’un premier rapport de la Cour des comptes vient d’anticiper, en juillet 2023, un dépassement proche du double, soit 8,7 milliards d’euros…
Pardon, vive les JO!
J’ai donc remballé mes arguments. Vive les JO d’été qui s’ouvriront, le 26 juillet 2024, par une cérémonie d’anthologie sur la Seine, avec Paris pour décor et plus de 10'000 athlètes comme figurants! Or voilà qu’un autre grincheux, bien plus crédible que moi, vient d’entrer en scène: David Douillet lui-même, judoka deux fois récompensé par l’Or aux JO d’Atlanta (1996) et Sydney (2000). Douillet a ensuite été ministre des sports sous la présidence de Nicolas Sarkozy (2007-2012).
Et que dit-il dans «La Tribune du dimanche»? «J’espère que la situation géopolitique sera plus apaisée pour que l’on vive des Jeux sereins, organisés dans les meilleures conditions possibles. Si la veille les voyants sont rouge cramoisi quant aux risques d’attentat, il faudra un plan B pour la cérémonie d’ouverture.» Ouf! Enfin de la lucidité. Car enfin, est-ce vraiment raisonnable de paralyser le centre de la capitale en otage, sans doute pendant des semaines, pour quelques heures de mondovision? N’est-on pas en train d’offrir aux fanatiques de tous bords une occasion unique de prendre la planète à témoin? Doit-on oublier ce que vécurent Munich et l’Allemagne avec la prise d’otage des commandos palestiniens de septembre noir, en 1972?
Un autre esprit chagrin s’est manifesté: celui du plus grand quotidien du pays, à savoir «Ouest France». «À un peu plus de neuf mois des JO, la résurgence du terrorisme pose clairement question pour le plus grand rendez-vous sportif du monde, expliquait le 19 octobre notre confrère. Et notamment pour la cérémonie d’ouverture.» Pour rappel, cet événement, le 26 juillet, est organisé pour la première fois de l’histoire olympique hors d’un stade. Pour innover, le Comité d’organisation des Jeux (COJOP) a prévu un défilé des athlètes le long de la Seine, sur des bateaux, entre la Bibliothèque François Mitterrand et la tour Eiffel (6 km). Au programme: trois heures de spectacle, théoriquement.
Les réponses officielles sont pour l’heure très maigres. La dernière réunion interministérielle, vendredi 20 octobre, n’a pas été suivie d’un point de presse. L’on sait juste qu’entre 17'000 à 22'000 agents de sécurité privée seront employés sur les sites olympiques. Et que 45'000 policiers et gendarmes seront déployés le jour de la cérémonie d’ouverture. La mairie de Paris, elle, persiste à promettre qu’il sera possible de nager dans la Seine, alors qu’une compétition de natation libre prévue cet été a dû être annulée.
On résume: que les JO soient une vitrine mondialisée unique et (éventuellement) une incomparable fête de l’altruisme sportif est une chose. Qu’ils soient au-dessus de tout questionnement, interdits de débat, et transformés en «totem» géopolitique indiscutable mérite, tout de même, en pleines convulsions internationales, de s’interroger sur les priorités d’un pays. Et d’une société.