Plus de la moitié des hommes en Suisse souhaiteraient travailler à temps partiel s'ils en avaient la possibilité. Or, ils ne sont pour l'heure que 18% à le faire. C'est le contraste saisissant qui ressort d'une récente enquête menée par Deloitte auprès de 1900 salariés et salariées entre 18 et 64 ans, et révélant que le temps partiel est largement plébiscité par les Suisses, hommes et femmes confondus. Chez les femmes, près de 70% ont exprimé le souhait de travailler à temps partiel. Elles sont déjà 56% à le faire. Contrairement aux idées reçues, le désir de diminuer son pourcentage d'activité augmente avec l'âge, puisque près de deux tiers des plus de 50 ans préfèreraient évoluer à temps réduit.
L’attrait pour la réduction du temps travail ne relève donc plus de l’exception, et tend même à devenir la norme. La proportion d’actifs à avoir franchi le pas a d'ailleurs fortement augmenté ces dernières années. Cela peut néanmoins s’avérer risqué d’un point de vue financier. Même lorsque le salaire permet toujours de vivre confortablement, la prévoyance professionnelle en pâtit, avec des conséquences d’autant plus problématiques qu’elles sont souvent mal connues du grand public. Passant assez inaperçues pendant la vie active, ces carences se manifestent parfois trop tard.
Le système de prévoyance en vigueur en Suisse pénalise les employés à temps partiel. Même pour un couple qui disposerait de deux salaires, il est financièrement plus avantageux que l’un des deux conjoints opte pour un temps plein: «Un revenu complet et un revenu à 60% valent en général mieux que deux revenus à 80%, observe Julia Paoli, responsable de la prévoyance à la banque Edmond de Rothschild (Suisse). Certains choisissent donc de se maintenir à 100% malgré la tentation d’un taux d’activité réduit.»
Pour rappel, les salariés ne sont tenus de cotiser au 2e pilier qu’à partir d’un certain revenu annuel – appelé «seuil d’accès» – révisé périodiquement et qui s’élève actuellement à 22'050 francs selon la Loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP). En dessous de ce montant, l’employeur n’est pas obligé d’affilier son employé dans une caisse de pension. En outre, le salaire retenu pour calculer les cotisations au 2e pilier est réduit par la déduction de coordination (c'est-à-dire la déduction du 2e pilier des montants déjà cotisés à l’AVS), et qui s’élève en 2024 à 25'725 francs. Pour une personne touchant 50'000 francs par an, moins de la moitié du salaire sera en effet pris en compte dans le calcul des cotisations au 2e pilier.
Un système obsolète?
Pour les salariés à temps partiel, le spectre des lacunes dans la prévoyance professionnelle n’est donc jamais bien loin. Une cotisation défaillante ne se répercute d’ailleurs pas uniquement sur la retraite, mais aussi sur les éventuelles rentes en cas d’invalidité prolongée ou de décès. Reste la possibilité d’ouvrir un 3e pilier, mais le montant que l’on peut verser dans cette réserve est plafonné à 7'056 francs par an (pour un indépendant, il est possible de cotiser jusqu’à 20% du revenu et maximum 35'280 francs au 3e pilier).
«Le système des trois piliers a été instauré il y a plusieurs décennies et n’a pas été conçu pour répondre aux enjeux de la société actuelle. Mais des solutions existent déjà», soutient Julia Paoli. Selon la spécialiste, les employeurs et les institutions de prévoyance ont bien conscience de ce changement de paradigme et s’empressent de s’y adapter.
«Certaines caisses de pension offrent désormais des plans de prévoyance très flexibles, où les seuils d’accès et les déductions de coordination sont abaissés, voire supprimés. Ainsi, tous les employés, quel que soit leur taux d’activité, sont assurés de cotiser au 2e pilier.»
Facultatifs et à la discrétion des caisses de pension et des employeurs, ces ajustements offrent la possibilité de déterminer les cotisations au 2e pilier en fonction du taux d’activité ou de la rémunération. «Certaines institutions de prévoyance proposent désormais des plans d’épargne flexibles et avantageux, notamment sans limite inférieure ou supérieure des montants versés chaque année et une solide assurance en cas d’invalidité permanente ou de décès. Il est, par exemple, possible de mettre en place un capital en cas de décès allant jusqu’à huit fois le salaire annuel de l’employé.»
Toutefois, les employeurs ne sont pas tous en mesure de proposer de telles affiliations à leur personnel. En outre, il est difficile de connaître cette variable lors de la recherche d’emploi. «Au même titre que le salaire, la qualité du plan de prévoyance proposé doit être un élément à prendre en compte à l’embauche, surtout si le poste est à temps partiel.»
Se tourner vers la prévoyance privée
Malgré cette flexibilité accrue de la part des employeurs et des caisses de pension, la plupart des employés à temps partiel auront avantage à se tourner vers la prévoyance privée, à savoir le 3e pilier. Moins réglementée que la prévoyance professionnelle, il peut être souscrit à tout moment, à partir de 18 ans et jusqu’à cinq ans avant la retraite. Le 3e pilier peut aussi se matérialiser sous forme d’une épargne bancaire, de placements ou de polices d’assurance, voire d'une offre combinée entre ces différents produits. «Pour trouver la recette qui correspond le mieux à sa situation personnelle, mieux vaut faire appel à des spécialistes en prévoyance.»
Les rentes AVS et l’épargne 2e pilier ne couvrant en général que 60% du dernier salaire perçu, près de la moitié des personnes exerçant une activité lucrative en Suisse font le choix d’ouvrir un 3e pilier pour maintenir un niveau de vie équivalent une fois retraitées. «Les trois piliers sont complémentaires. Dans le cas d’une cotisation au 2e pilier réduite par le temps partiel, il paraît d’autant plus judicieux de se constituer une troisième tirelire afin de s’assurer des réserves suffisantes», conseille Julia Paoli.
Le piège du cumul des emplois
La thématique de la prévoyance et des retraites a beau revenir régulièrement sur le devant de la scène, tout le monde ne prend pas le temps de s’y intéresser de près. Même s'il en va de sa situation financière personnelle. «La prévoyance relève d’un système complexe qui peut sembler déroutant au premier regard. Il est néanmoins important de s’y intéresser le plus tôt possible et surtout ne pas présumer que sa retraite est assurée d’office», insiste Julia Paoli.
Population à haut risque: les personnes qui cumulent plusieurs contrats chez différents employeurs. «Dans certains cas, même des personnes touchant un revenu combiné parfaitement confortable ne cotisent pas au 2e pilier. Prenons quelqu’un qui cumule trois, quatre ou cinq employeurs différents – un cas de figure relativement courant dans certaines professions – les salaires sont comptabilisés séparément par chaque employeur. Si aucun des salaires ne parvient au seuil d’accès prévu par la LPP, alors il est possible que l’employé ne soit même pas affilié auprès d’une caisse de pension. Le plus inquiétant, c’est que certains n’ont même pas conscience de cette absence ou s’en rendent compte trop tard.»
Pourtant, les personnes cumulant plusieurs contrats peuvent parfaitement faire reconnaître leur revenu cumulé auprès d’une caisse de pension. «Mais pour cela, il faut souvent entreprendre les démarches soi-même, et ne pas s’attendre à ce que les employeurs le fassent de leur propre chef.»
Une fois les années de retard accumulées, il est toujours possible de limiter la casse en «rachetant», au moins en partie, son 2e pilier. «Cela demande toutefois d’injecter des sommes importantes et d’augmenter ses cotisations pour les années restantes. Il se peut aussi que la lacune soit trop grande pour être comblée entièrement.»
En collaboration avec Large Network