«J’étais présent au moment de la création de cette organisation», affirme Alexander Zlodeev, 53 ans, rencontré par l’AFP lundi au Centre d’accueil des demandeurs d’asile politique, sur le site de l’aéroport parisien Roissy-Charles de Gaulle.
Autorisé jeudi à entrer sur le territoire après être arrivé en France le 12 octobre, cet homme mince, aux yeux clairs et cheveux gris courts, se souvient d’être entré au sein du groupe Wagner entre 2014 et 2015, au moment du déclenchement du conflit dans le Donbass opposant les troupes loyalistes ukrainiennes aux forces séparatistes prorusses. À l’époque, il est, selon ses dires, l’un des organisateurs de la Marche russe, rassemblement annuel de groupuscules d’extrême droite ou monarchistes. L’AFP n’a pas été en mesure de vérifier la véracité de ses déclarations.
A lire aussi sur le groupe Wagner:
«On a reçu l’information selon laquelle dans le Donbass, dans la région de Lougansk, on tuait des Russes parce qu’ils parlaient russe. On est donc allé défendre les Russes. Là-bas, on nous a remarqué et on nous a proposé d’intégrer Wagner.» Il l’assure, toutefois, il n’a pas combattu. «Je travaillais au quartier général, devant un ordinateur, dans un bureau chargé de l’administration des troupes», précise-t-il.
Créée par le Ministère de la défense
Wagner, dont la présence a été documentée ces dernières années en Syrie, en Libye, en Ukraine, en Centrafrique et au Mali, est perçu par ses détracteurs comme l’armée de l’ombre du président russe Vladimir Poutine, promouvant les intérêts de Moscou en fournissant des combattants, mais aussi des instructeurs militaires et conseillers. Le groupe est accusé de nombreuses exactions – notamment contre des populations civiles – par l’ONU, des Etats occidentaux et des ONG.
Evguéni Prigojine, un homme d’affaires proche du Kremlin, a reconnu fin septembre avoir fondé en 2014 le groupe paramilitaire, le qualifiant de «pilier» de la défense des intérêts russes, même si Moscou a toujours démenti avoir des liens avec des groupes paramilitaires.
«L’organisation a été créée par le Ministère de la défense. […] Le GRU (ndlr: renseignement militaire russe) a donné la responsabilité de Wagner à Prigojine pour qu’il s’en occupe», affirme sans ambages Alexander Zlodeev, expliquant qu'«il n’existait pas d’organisation pouvant résoudre certains problèmes par des moyens militaires en dehors du territoire russe». Aux débuts de Wagner, «il y avait des gens entraînés qui savaient ce qu’ils faisaient. Des militaires professionnels, certains qui avaient combattu en Tchétchénie, des anciens officiers du Ministère de la défense», se remémore-t-il.
Tensions avec le pouvoir russe
«Tous les uniformes militaires, on les recevait directement des entrepôts des services spéciaux du GRU. On recevait de très bons uniformes», de même que des salaires, en espèce, également versés par le GRU, assure l’ex-mercenaire Quelques mois plus tard, il est envoyé en Syrie où Wagner, toujours en étroite collaboration avec les forces russes sur place, participe cette fois à de rudes combats face au groupe Etat islamique et y essuie des pertes élevées.
Affecté à l’état-major de Wagner, il affirme être régulièrement en contact avec Evguéni Prigojine lui-même. «J’ai parlé avec lui au téléphone, en Syrie au moment de la première prise de Palmyre. Les pertes étaient grandes. Il a appelé. Au siège, on devait connaître ce type d’information minute par minute, seconde par seconde», raconte-t-il.
Fait notable, des tensions apparaissent à cette époque entre Prigojine et le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, sur fond de lutte d’influence: «Lorsque Wagner a libéré Palmyre pour la première fois, et que Poutine a fait l’éloge de Wagner, Choïgou n’a pas beaucoup apprécié et après cela, des conflits ont commencé», affirme Alexander Zlodeev, ajoutant que «l’approvisionnement est devenu très mauvais et les armements ont commencé à être beaucoup moins bien fournis».
Proche d’Alexeï Navalny
Mais l’aventure Wagner finit par tourner court pour lui. «J’ai souvent répété qu’il y avait trop de pertes […] c’est arrivé jusqu’au haut commandement au quartier général, on m’a viré», affirme-t-il. Selon son avocate française contactée par l’AFP, l’ex-mercenaire quitte la société aux alentours de 2017 et se rapproche de l’opposant Alexeï Navalny, figures de proue de l’opposition à Vladimir Poutine et militant résolu de la lutte contre la corruption, aujourd’hui emprisonné.
Celui qui se dit aujourd’hui «contre la guerre» en Ukraine dit avoir milité sur les réseaux sociaux contre l’invasion russe, avec toutefois peu d’effet: «À l’intérieur de la Russie, je ne peux pas me battre comme il le faudrait, c’est pourquoi j’ai décidé de partir.»
Alexander Zlodeev, qui avait déjà obtenu l’asile politique en France en 2003 avant de repartir en Russie en 2010, dit avoir trois enfants citoyens français en France.
(AFP)