Donald Trump, qui a de bonnes chances d'être réélu président des Etats-Unis le 5 novembre, devient une épine de plus en plus dérangeante dans le pied de l'Europe. Une déclaration en particulier a frappé les gouvernements européens comme un coup de massue: Trump a menacé de ne pas fournir d'aide en cas d'attaque russe contre des pays du Vieux Continent.
En Europe, on réfléchit donc à la manière de renforcer sa propre défense. Et pourquoi pas la bombe nucléaire?
Des politiques de tous bords réclament un projet nucléaire commun. Le vice-président allemand de l'Union chrétienne-sociale, Manfred Weber, qui dirige le plus grand groupe au Parlement européen avec le Parti populaire européen, déclare au quotidien «Bild»: «L'Europe doit devenir si forte sur le plan militaire que personne ne voudra se mesurer à nous. Cela signifie que nous avons besoin de dissuasion. La dissuasion passe par les armes nucléaires.»
Même son de cloche chez les politiciens de gauche: il y a quelques jours, la tête de liste du SPD (parti social-démocrate allemand) pour les élections européennes, Katarina Barley, a également mis sur la table le thème d'une propre bombe atomique dans le «Tagesspiegel». En décembre 2023 déjà, l'ancien ministre des Affaires étrangères vert Joschka Fischer avait accusé Poutine de «chantage nucléaire» et formulé l'exigence suivante: «L'UE a besoin de sa propre dissuasion nucléaire».
En Europe, seuls deux pays disposent d'ogives nucléaires, à savoir la France avec 290 unités et la Grande-Bretagne avec 225. L'arsenal nucléaire de la Russie est toutefois environ douze fois plus important que celui des deux puissances européennes réunies.
Selon le Centre fédéral allemand pour l'éducation politique, les Etats-Unis stockent entre 150 et 200 bombes nucléaires en Europe. Les armes nucléaires pour l'OTAN sont stationnées sur six bases aériennes à Kleine Brogel (Belgique), Büchel (Allemagne), Aviano et Ghedi Torre (Italie), Volkel (Pays-Bas) et Incirlik (Turquie). Elles sont stockées de manière sécurisée dans des entrepôts souterrains, appelés Weapons Storage Vaults, qui devraient résister au feu et aux attaques.
Trop faible contre la Russie
Liviu Horovitz, expert de l'OTAN et du nucléaire à la Fondation de science et politique à Berlin, estime que ces arsenaux ne sont pas suffisants pour une dissuasion crédible. «Les ogives suffisent aux Français et aux Britanniques pour protéger leurs propres pays. Mais s'il s'agit de protéger d'autres pays, le nombre et la composition sont insuffisants par rapport à la Russie.»
Dans le cadre d'une dissuasion élargie crédible, il ne faut pas envisager des attaques destructrices sur des centres urbains, qui entraîneraient des contre-attaques de même nature. Il s'agit plutôt de neutraliser les objectifs stratégiques de l'adversaire avec des armes nucléaires nombreuses et variées.
Liviu Horovitz ne pense pas que l'Europe ait besoin de sa propre «bombe». «D'un point de vue purement technique, on peut imaginer que la France puisse jouer le rôle des Etats-Unis, même si cela serait très coûteux et long.»
Pour le ministre allemand des Finances Christian Lindner, il est également évident que les deux puissances nucléaires européennes devraient donner le ton. Dans une tribune publiée dans le «Frankfurter Allgemeine Zeitung», le politicien du parti libéral-démocrate écrit que les puissances nucléaires stratégiques que sont la France et la Grande-Bretagne apporteraient déjà leur contribution à l'OTAN.
Il souligne également que le président français Emmanuel Macron a présenté à plusieurs reprises des offres de coopération. «Nous devrions considérer les récentes déclarations de Donald Trump comme une invitation à poursuivre la réflexion sur cet élément de la sécurité européenne sous l'égide de l'OTAN.»
Les «Etats-Unis d'Europe»
Les Etats européens sont donc encore loin d'avoir atteint le stade de la bombe atomique commune. Selon Liviu Horovitz, les consensus politiques sont bien plus compliqués à atteindre que le développement d'un produit commun, comme celle de savoir comment l'ordre européen se transformerait.
L'Europe devrait probablement se rassembler, mettre en place des structures centralisées et une dissuasion nucléaire commune, estime Liviu Horovitz. «Une dissuasion nucléaire paneuropéenne crédible ne nécessite assurément pas seulement une alliance de défense commune, mais plutôt la création des 'Etats-Unis d'Europe'.»