Certains, comme le Premier ministre vietnamien, se sont rués vers leur téléphone pour joindre Donald Trump, dès le lendemain de ses annonces douanières. D’autres, à savoir la plupart des dirigeants des pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), préparent l’envoi de négociateurs à Washington. Tous partagent en revanche une conviction: Donald Trump a trahi leurs économies émergentes, que les Etats-Unis considéraient jusque-là comme une alternative à «l’atelier du monde» chinois.
La grande guerre commerciale asiatique est déclarée. Et rien ne prouve que Washington va la remporter. «La Chine sort renforcée à tous points de vue», titrait ce mardi 8 avril le quotidien thaïlandais «Bangkok Post». «Elle résiste. Elle incarne le refus de l’Asie de se soumettre.»
Escalade avec Pékin
L’avenir dira, bien sûr, jusqu’où va l’escalade tarifaire entre Washington et Pékin. Donald Trump parle maintenant d’imposer aux Chinois 50% de tarifs douaniers supplémentaires, s’ils osent taxer à 34% les produits américains importés, en riposte aux annonces de la Maison Blanche. Mais dans cette Asie du Sud-Est où la décolonisation s’est, presque partout, accompagnée de guerres et de bains de sang, la nouvelle Amérique économique fait peur et n’inspire pas confiance.
Deux pays incarnent plus que les autres cette colère: le Cambodge et le Vietnam. Tous deux ont été détruits par l’armée américaine durant deux décennies de guerre civile, entre 1955 et 1975. Et tous deux se sont retrouvés en tête de la liste de Trump le 2 avril. 49% de tarifs douaniers pour le Cambodge, 46% pour le Vietnam!
Souvenirs des guerres
Aussitôt, les souvenirs de la guerre américaine sont remontés à la surface. Quand les bombardiers B-52 anéantissaient les populations rurales cambodgiennes, les poussant dans les bras des guérilleros communistes Khmers rouges. Quand l’emploi généralisé du Napalm par l’US Air Force défigurait les campagnes vietnamiennes. Ironie du calendrier: ces deux pays s’apprêtent, ces jours-ci, à commémorer le cinquantième anniversaire de la fin des hostilités. Le 17 avril 1975, Phnom Penh tombait aux mains des Khmers rouges de Pol Pot, qui plongèrent ce pays tranquille dans un génocide. Le 30 avril 1975, les derniers hélicoptères quittaient le toit de l’ambassade des Etats-Unis à Saïgon. Des images assurées de ressortir, alors que le conflit tarifaire bat son plein.
Et que dire des pays de la région qui, eux, croyaient être les alliés durables des Etats-Unis? La Thaïlande, bastion américain durant la guerre du Vietnam et bien au-delà? 37% de droits de douane. L’Indonésie, où les Etats-Unis soutinrent longtemps la dictature du général Suharto et où l’un des gendres de ce dernier, Prabowo Subianto, est aujourd’hui au pouvoir? 32%. Deux pays de la région seulement échappent à cette guillotine des tarifs: les Philippines, où la marine américaine est en train de reprendre le contrôle de son ex-base navale de Subic Bay (18%), et le centre financier régional de Singapour (10%), plaque tournante offshore des banques suisses en Asie.
Basculement vers la Chine
Cette guerre commerciale déclarée par Trump risque d’avoir deux conséquences, prévient l’Institut de recherche stratégique de Singapour, l’île-Etat où se tiendra, du 30 mai au 1er juin, la fameuse conférence Shangri-La sur la sécurité. La première est l’augmentation rapide de l’emprise chinoise sur deux pays quasi contrôlés par Pékin: le Cambodge (où la marine chinoise aménage un port près de Sihanoukville) et le Laos (où la Chine a construit l’unique liaison ferroviaire qu’elle contrôle entièrement).
La seconde est un possible basculement stratégique en mer de Chine, où le Vietnam et la Malaisie (24% de tarifs) – en lutte avec Pékin pour le contrôle des îles Spratleys et Paracels – pourraient réviser leurs positions. Un nouveau front maritime s’ouvrirait alors en mer de Chine pour les Etats-Unis, avec le risque de voir Pékin y préparer le futur blocus de Taïwan.
Bien plus qu’une guerre commerciale
Guerre commerciale? Bien plus, en réalité. Car si les Etats-Unis maintiennent leur surenchère douanière, deux Asie risquent de se retrouver face à face: l’Asie pro-Washington composée des Philippines, de la Corée du Sud (25%), du Japon (24%) et de Taïwan, écartelée entre la présence de troupes américaines et ces barrières protectionnistes; et l’Asie courtisée par la Chine, qui disposera alors d’un levier de poids avec les 600 millions de consommateurs des dix pays membres de l’ASEAN.
Oui, la grande guerre commerciale asiatique est déclarée. Et Donald Trump est loin, très loin, d’être sûr de la gagner…