Le marteau douanier de Donald Trump s'est abattu et le monde retient son souffle. La Suisse est elle aussi durement touchée par des droits de douane de 31%. Mais le président américain est-il sérieux ou tout cela n'est-il que du théâtre politique? L'économiste Mathias Binswanger doute qu'on en arrive réellement à une grande guerre commerciale.
Mathias Binswanger, la décision de Donald Trump en matière de droits de douane a-t-elle encore un rapport avec l'économie?
Tout dépend de l'économie que l'on prend comme référence. Ce que fait Trump est une sorte de retour à la théorie du mercantilisme qui, dans les Etats absolutistes jusqu'au XVIIIe siècle, avait pour but d'obtenir les plus grandes parts possibles de la balance commerciale.
Cela vous a-t-il surpris? Trump avait annoncé ces droits de douane pendant sa campagne électorale.
La question est de savoir quel est le véritable objectif de Trump. Est-ce qu'il souhaite vraiment maintenir les droits de douane à long terme? Il a tout d'abord exprimé un grand nombre de menaces et il a fait en sorte d'être toujours celui qui agit en premier. En même temps, le président américain a déjà laissé entendre qu'il était prêt à négocier.
Il s'est mis en scène comme Moïse avec son immense table des commandements. Il attend désormais que les chefs de gouvernement du monde entier se mettent à genoux et demandent grâce.
Exactement. Les chefs d'Etat doivent désormais lui demander une audience. Dans un sens, c'est honnête.
Comment ça?
Les puissants ont toujours profité de leur pouvoir. Nous devrions cesser de faire comme si le commerce était encore géré de manière rationnelle et économique. La politique commerciale est une politique de pouvoir et nous l'avons longtemps ignoré. Mais même avant Trump, les Etats-Unis ont fait fi de diverses obligations internationales, y compris dans le domaine du commerce. Trump le fait simplement avec plus de culot.
Vous minimisez les choses. Trump se moque des accords existants et des règles de l'Organisation mondiale du commerce.
Ceux qui ont le pouvoir n'ont jamais vraiment respecté les règles. Trump en a profité pour annoncer des droits de douane dont le calcul et l'ampleur sont au-delà du bien et du mal. Mais si l'on regarde le premier mandat de Trump, il a rencontré quelques succès avec ses droits de douane sélectifs.
Mais ceux-ci se limitaient à certaines branches comme l'industrie de l'acier et de l'aluminium.
Oui, mais elles ont eu un effet: on a de nouveau produit davantage aux Etats-Unis et les importations ont diminué, sans que cela ne provoque d'inflation dans le pays.
Vous pensez que cela peut à nouveau réussir?
Pas sous la forme annoncée aujourd'hui. Même l'administration américaine devrait avoir beaucoup de mal à mettre en œuvre et à appliquer ces nouveaux droits de douane rapidement.
Quelles sont les conséquences de la folie tarifaire de Trump pour l'économie mondiale?
Difficile à dire, car il est possible qu'une partie des droits de douane soit levée assez rapidement. Ce qui est dangereux, c'est cette grande incertitude, beaucoup de choses vont se retrouver paralysées.
Il y a un mois, vous affirmiez dans une tribune parue dans le «Nebelspalter» qu'il n’y avait pas lieu de s'inquiéter d’une guerre commerciale, malgré les droits de douane imposés au Canada, au Mexique ou à la Chine.
La menace a certes encore été renforcée, mais même maintenant, je ne suis pas sûr que nous soyons réellement confrontés à une guerre commerciale généralisée.
Vraiment? La Chine a déjà réagi en imposant de violents droits de douane en retour.
La Chine est la deuxième puissance économique mondiale. Ainsi, les Chinois sont dans une position très différente de celle de la Suisse par exemple. Ils peuvent mettre en place une contre-menace. Si les habitants des Etats-Unis en ressentent les conséquences, le vent pourrait rapidement tourner.
Que nous enseigne l’histoire sur les effets de la politique commerciale de Trump? Depuis la Seconde Guerre mondiale, le principe dominant est clair: le libre-échange favorise la croissance et la prospérité.
L'idée que le libre-échange est bénéfique tandis que le protectionnisme est néfaste fait aujourd’hui partie des principes établis en économie. Pourtant, cette vision n’est pas universellement valable. Dans des conditions idéales, le libre-échange peut effectivement générer de la prospérité, mais cela ne se vérifie pas systématiquement dans la réalité. C’est d’ailleurs pour cette raison que la Suisse elle-même s'en écarte parfois.
Dernièrement, pour sauver l'industrie sidérurgique locale.
Oui, mais aussi pour l'agriculture par exemple, qui ne pourrait jamais survivre sans un certain protectionnisme. Il existe de bons arguments pour maintenir certaines industries au sein de l'économie nationale, afin de ne pas devenir totalement dépendant de l'étranger.
Comment la Suisse devrait-elle réagir aux droits de douane punitifs?
Menacer de contre-mesures n'aurait aucun effet, la Suisse étant bien trop insignifiante pour cela. Elle devrait, dans la mesure du possible, attirer l'attention sur le fait qu'elle importe nettement plus de services des Etats-Unis qu'elle n'en exporte, qu'elle réalise des investissements directs importants et, finalement, qu'elle est un partenaire utile.
Ce faisant, la Suisse vient d'essuyer un échec cuisant.
La Suisse a toujours su attendre, elle n'a jamais pris les devants et cela a fait ses preuves sur le long terme. Il faut réussir à montrer que l'on vit plus agréablement aux Etats-Unis si l'on a accès à des médicaments, du chocolat et des capsules de café suisses.
Comment l'économie suisse va-t-elle souffrir des droits de douane?
Certaines entreprises seront durement touchées, mais globalement, l'impact ne sera probablement pas trop important tant que les produits pharmaceutiques seront exclus.
C'est précisément sur ce point que Trump a renchéri en annonçant des droits de douane pharmaceutiques «comme on n'en a jamais vu auparavant».
Les conséquences pour la Suisse seraient alors plus graves. Mais imposer des droits de douane punitifs sur les produits pharmaceutiques serait la plus grande bêtise que Trump puisse faire. Par ailleurs, les Etats-Unis dépendent en partie des produits pharmaceutiques suisses. De nouveaux droits de douane entraîneraient un renchérissement direct des coûts de santé américains, qui sont déjà astronomiques.
La Suisse devrait-elle maintenant chercher une ligne commune avec l'UE contre Trump?
L'Europe serait une puissance, un espace économique fort, si elle se montrait unie. Mais elle n'y parvient pas parce que la présidente de la Commission européenne n'a pas le même standing qu'un président américain et que les grandes puissances divisent considérablement l'Europe.
Pensez-vous que Trump finira par se faire avoir?
Il est probable qu'à court terme, ses calculs soient payants. Le monde fera des concessions et Trump pourra se présenter comme un chef d'Etat généreux. Par rapport au fonctionnement de l'économie, le mercantilisme vulgaire de Trump est un coup d'épée dans l'eau. Mais il l'aide à se mettre en scène comme un homme puissant et cela est sans doute le plus important pour lui.