La Suisse perd un allié à Bruxelles. Thierry Breton, 69 ans, était depuis 2019 le très puissant Commissaire européen en charge du marché intérieur, des questions industrielles et des nouvelles technologies. Il s’était illustré durant la pandémie de Covid en menant avec succès les pourparlers pour l’achat mutualisé de vaccins avec les grands laboratoires, ce qui l’avait conduit en Valais, sur le site de Moderna, en juillet 2021. Breton avait aussi récemment clashé avec Elon Musk sur les réseaux sociaux, avertissant le milliardaire au début du mois d'août qu’on ne peut pas écrire n’importe quoi et être diffusé sans restrictions au sein de l’UE. Seulement voilà: Thierry Breton avait une adversaire de taille, supposée être sa partenaire et sa patronne: la présidente réélue de la Commission européenne Ursula von der Leyen.
Le résultat de leur duel très politique est intervenu ce lundi 16 septembre à la surprise générale. Dans une lettre aussitôt publiée sur les réseaux sociaux, Thierry Breton a claqué la porte. Il a donné sa démission, reprochant à la présidente de la Commission de refuser son nom, pourtant proposé par Emmanuel Macron! Lequel a aussitôt dégainé le nom de son remplaçant: l'actuel ministre des Affaires étrangères (démissionnaire) français Stéphane Séjourné. Les Commissaires européens sont proposés par les gouvernements des 27 États Membres, avant d’être auditionnés par le Parlement européen, puis avalisés ou non.
Un clash très calculé
Le clash Breton-Von der Leyen intervient à un moment crucial: c’est cette semaine que la composition du nouveau collège à la tête de l’exécutif communautaire doit être présentée à Bruxelles. C’est ensuite en octobre que les auditions auront lieu, au Parlement à Strasbourg. Et tout cela pile au moment où certains sujets clés sur lesquels Thierry Breton a travaillé, comme celui de l’industrie de défense européenne ou de la taxation des géants américains du numérique, sont incontournables.
Breton face à Von der Leyen? La confrontation personnelle, ancienne et confirmée lors de la campagne pour les élections européennes de juin, ne résume pas tout. Côté français, un gouvernement est en cours de formation et le Premier ministre Michel Barnier, ancien négociateur du Brexit pour l’UE, pourrait avoir un grand besoin d’un Thierry Breton, par exemple comme ministre des Finances (position qu’il a déjà occupée en 2005-2007)... pour faire face à Bruxelles qui a mis la France sous surveillance en juin, en raison du dérapage de son déficit public.
Paris-Berlin, rien ne va plus
Autre facette de cet affrontement: les relations franco-allemandes. Ursula von der Leyen doit son second mandat à Berlin. Elle est dans la main de son parti conservateur d’origine, la CDU, qui pourrait revenir au pouvoir en septembre 2025. Elle est pro-américaine, atlantiste, peu portée sur les désaccords publics avec Washington ou la Silicon Valley. «C’est un symptôme de plus de l’état déplorable de la relation franco-allemande en Europe juge l’universitaire suisse Gilbert Casasus, auteur de «Suisse-Europe, je t'aime moi non plus» (Ed. Sladkine). L’Allemagne, de droite à gauche, fait tout, avec succès, pour la jeter au pilori, et les Français, à quelques très rares exceptions près, n’ont rien, mais vraiment rien, compris au film. Von der Leyen n’avait qu’un seul objectif: avoir la peau de Breton. Elle l’a eue.»
Et la Suisse dans tout ça? Thierry Breton, il faut le préciser, n’avait pas de rôle direct dans les négociations menées entre Berne et Bruxelles, et supposées s’achever en fin d’année par un projet d’accord sur des «Bilatérales III». C’est son collègue slovaque Maros Sefcovic, vice-président de la Commission, qui avait jusque-là la main. Mais Breton était un bon interlocuteur pour la Confédération. De confession protestante, il a plusieurs fois reconnu devant Blick se sentir «proche des Suisses». Il avait aussi en main les questions de l’industrie de défense, essentielles pour la Suisse, dont les entreprises ont besoin d’accéder au marché européen et de nouer des partenariats. «Thierry Breton a toujours considéré qu’il fallait un accord bilatéral reconnait un diplomate. Il fulminait souvent contre les bureaucrates et les juristes de la Commission.»
Barnier en vainqueur?
Le vainqueur de cette passe d’armes pourrait être Michel Barnier, 73 ans. Le nouveau Premier ministre français a besoin urgent de renforts. Il doit faire face à la pression européenne. Alors, Breton ministre des Finances? Ou ministre des Affaires étrangères? Possible. L’ex-industriel au passé controversé – la dernière entreprise qu’il a dirigée, Atos, a accumulé les dettes après son départ, frôlant la faillite en raison d’investissements hasardeux – est en plus un communicant hors pair. Il squatte les médias. Il a de bonnes relations avec le patronat allemand. Bref, il serait très utile.
Emmanuel Macron, lui a choisi un proche qui lui doit tout: Stéphane Séjourné, qui présidait le groupe libéral-centriste au parlement européen avant de rejoindre le gouvernement de Gabriel Attal. Ursula von der Leyen voulait des femmes dans son collège. Elle n'a, sur ce point, pas été entendue.