La Russie a changé de tactique. Après que la guerre se soit concentrée presque exclusivement à l'est durant l'été et qu'une grande partie de l'Ukraine ait été épargnée par les combats directs, le chef du Kremlin Vladimir Poutine bombarde à nouveau depuis quelque temps toutes les grandes villes d'Ukraine - notamment le réseau électrique.
Poutine veut ainsi démoraliser les Ukrainiens. L'hiver approche et les sources d'énergie étant détruites, la population risque d'être glacée. C'est exactement ce sur quoi mise le chef du Kremlin, explique Marcel Berni, expert en stratégie à l'Académie militaire de l'École polytechnique fédérale de Zurich.
Le grand espoir de Moscou est que les Ukrainiens finissent par se rebeller contre leur direction. La tactique hivernale ne vise toutefois pas seulement l'Ukraine, mais aussi l'Occident. Le dirigeant russe espère mettre l'Occident à genoux à travers la crise énergétique. Il a d'abord utilisé un blocus des céréales comme moyen de pression, puis le gaz. Dès que l'Europe aura froid, ce sera la fin du soutien à l'Ukraine. Telle est sa stratégie.
«Ce serait le signal d'un Occident faible»
Mais quelle est la probabilité que l'Occident cesse de soutenir l'Ukraine? L'expert militaire Marcel Berni en est convaincu: on n'en arrivera pas là. «Je pense que Poutine a fait un énorme calcul avec cette stratégie. Personne ne sait à quel point l'hiver sera rude. De plus, la coalition pour un soutien à l'Ukraine est très large, les fissures ne sont pas perceptibles, du moins à l'extérieur.» Les Etats-Unis en particulier auraient un grand intérêt à ce que la Russie soit affaiblie.
En outre, l'Occident perdrait sa crédibilité de partenaire fiable s'il devait cesser son soutien. «Ce serait un signal désastreux pour la politique mondiale, celui d'un Occident faible. Du point de vue actuel, il est donc peu probable que le soutien à l'Ukraine s'effondre soudainement», poursuit l'expert de l'EPFZ.
Une guerre d'usure
Lundi matin encore, la capitale Kiev, entre autres, était à nouveau bombardée. Cela n'a rien de surprenant, explique Marcel Berni à Blick. «Ces derniers jours, la Russie a toujours parlé de ne plus vouloir mener d'attaques à grande échelle contre les villes. Pourtant, cela vient de se reproduire.»
Et rien n'est dû au hasard: cela fait partie de la stratégie russe de faire le contraire de ce qui vient d'être annoncé. «Poutine est convaincu que plus la guerre dure, plus le mécontentement de la population ukrainienne augmente.»
Le chef du Kremlin continuera ainsi, pense Marcel Berni - et ce «jusqu'à ce qu'il soit à court de missiles et de drones ou que les soldats se soulèvent de manière large». Les élites russes au pouvoir ne peuvent pas se permettre de perdre une guerre, comme le montre l'histoire. Dans le passé, les défaites de l'armée russe se sont généralement soldées par la démission ou l'expulsion de la plus haute élite politique. «Poutine le sait très bien également. C'est pourquoi il n'abandonnera pas», affirme l'expert.
Un effondrement en quelques semaines?
Des rumeurs circulent déjà en Russie selon lesquelles le président de longue date pourrait ne pas se représenter aux prochaines élections en raison de la guerre en Ukraine. Il existe en outre des luttes de pouvoir au sein du Kremlin. «Poutine sait que des ultranationalistes comme le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov ou le chef de Wagner Evgueni Prigojine pourraient par ailleurs le menacer, estime Marcel Berni. Ces individus ont actuellement une grande influence au sein du Kremlin - trop grande pour que Poutine puisse simplement les ignorer.»
C'est pourquoi le président russe fait tout pour satisfaire ce groupe. Or, pour eux, seule la poursuite de la guerre est envisageable. Marcel Berni pense donc que la guerre pourrait durer encore longtemps.
Actuellement, l'arsenal des Russes n'est pas encore épuisé, et il n'y a pas non plus de large résistance au sein de l'armée. «Un soulèvement au sein de l'armée peut se former très rapidement. Personne ne sait exactement quand cela se produira. Mais une défaite stratégique cuisante, par exemple la perte d'une ville importante comme Kherson, peut avoir des conséquences insoupçonnées.»
Selon l'expert de l'EPFZ, si une partie du front russe s'effondre complètement, «cela peut déclencher un effet domino - et entraîner l'effondrement de toute l'armée en quelques semaines».