À peine les talibans avaient-ils pris Kaboul que les premiers politiciens suisses levaient le doigt en signe d’avertissement. Une nouvelle «vague de réfugiés» était imminente. Une situation telle que la «crise des réfugiés de 2015» ne devait pas se répéter. L’UDC, en particulier, voit un danger dans la crise en Afghanistan, à savoir que la Suisse devienne dans un avenir proche un «pays de destination pour des milliers d’Afghans».
Cette inquiétude est injustifiée. Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) est d’avis que rien n’indique jusqu’à présent un mouvement migratoire important vers l’Europe. Le Conseil fédéral voit les choses exactement de la même manière.
Miriam Behrens, directrice de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), a vivement critiqué l'«alarmisme» de l’UDC. Il n’y a aucune logique à l’idée que la Suisse sera envahie par les réfugiés afghans dans un avenir proche: «L’Afghanistan est bouclé. Les gens ne peuvent ni sortir ni rentrer.»
Le chiffre le plus bas depuis 30 ans
En fait, de moins en moins d’Afghans demandent l’asile en Suisse. À l’été de la crise migratoire de 2015, on comptait encore 7831 personnes, mais leur nombre n’a cessé de diminuer, jusqu’à 1338 au premier semestre 2021. Et ce, malgré le fait que la situation sécuritaire en Afghanistan se soit considérablement détériorée.
Au total, 7206 demandes d’asile ont été présentées pour l’année en cours, soit le nombre le plus bas depuis près de 30 ans. Selon Miriam Behrens, «le faible nombre de demandes d’asile est alarmant et montre que fuir la guerre ou les persécutions devient de plus en plus difficile».
Selon les Nations unies, depuis le début de l’année, 551’000 Afghans ont quitté leurs villages et leurs villes en raison des combats, mais sont restés dans le pays. Selon les derniers chiffres du HCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés, la plupart des réfugiés se trouvent au Pakistan (1,4 million) et en Iran (780’000). Ce sont donc les États voisins de l’Afghanistan qui en font les frais.
L’UE contrôle ses frontières de manière plus stricte
La route entre l’Afghanistan et l’Europe est longue. Elle passe souvent par l’Iran, la Turquie, puis les Balkans vers l’Europe centrale ou via la Grèce, par bateau. Cependant, de nombreux États de l’UE ont commencé à contrôler et à sécuriser plus fortement leurs frontières en 2015, par exemple la Croatie, la Hongrie ou l’Autriche.
Avec le soutien de l’agence européenne des frontières Frontex, la Grèce a pratiquement fermé ses frontières, ce qui lui vaut d’être vivement critiquée par les organisations de défense des droits de l’homme.
Mesures drastiques envisagées
Selon des informations du magazine allemand «Der Spiegel», le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis envisage même de suspendre le droit d’asile. Une mesure drastique au vu de la misère au Proche et au Moyen-Orient.
«Et contraire au droit international», ajoute Behrens, directeur de l’Aide aux réfugiés. «Le droit d’asile n’est pas un acte humanitaire, mais un droit acquis». Un droit qui n’est jamais respecté, en particulier aux frontières extérieures de l’UE.
Ainsi, pour des centaines de milliers de personnes, la fin de la chaîne se situe dès qu’elles atteignent le sol turc, le pays étant considéré comme sûr depuis 2016.
Le contexte est celui d’un accord avec l’UE en vertu duquel la Turquie reprend les «migrants irréguliers» qui atteignent les îles grecques — un accord pour lequel le président Recep Tayyip Erdogan reçoit des milliards de dollars provenant des coffres de l’UE.
L’aéroport, seule issue possible, n’en est pas une
Dans tous les cas, fuir par voie terrestre est devenu impossible en quelques jours. Les talibans contrôlant les quelques routes principales, quitter l’Afghanistan n’est actuellement possible que via l’aéroport international Hamid Karzai.
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Mais ce couloir d’évacuation est hors de portée de la plupart des civils: aux points de contrôle autour de l’aéroport, les talibans ne laissent passer que les ressortissants étrangers, voire personne du tout. Et sur le tarmac, c’est l’armée américaine qui décide de qui peut entrer dans un avion ou non.
Dépendants de la communauté internationale
Pour échapper à la terreur des talibans, les Afghans sont donc dépendants de la bonne volonté de la communauté internationale. Le Canada et la Grande-Bretagne ont pris les devants cette semaine et ont garanti des quotas de 20’000 réfugiés chacun en provenance d’Afghanistan. Ce «programme de réinstallation» est destiné aux réfugiés qui sont arrivés entre-temps dans les pays voisins.
Pendant ce temps, les États de l’UE n’ont pas trouvé de réponse à la question de savoir ce qu’il faut faire des centaines de milliers, voire des millions, de personnes qui fuient les talibans. Une réunion des ministres de l’intérieur de l’UE cette semaine n’a donné aucun résultat concret. L’intention était simplement d’intensifier l'«engagement humanitaire» dans les États voisins de l’Afghanistan.
En Suisse, le strict minimum
Pendant ce temps, la Suisse se limite au strict minimum. Le Conseil fédéral souhaite accueillir en Suisse les collaborateurs afghans du bureau de coopération de la DDC et leur famille proche. En incluant les ressortissants suisses, le nombre total de personnes à évacuer est d’environ 230.
La Suisse dispose d’une marge de manœuvre suffisante à cet égard, selon Miriam Behrens: «Outre les évacuations rapides et l’aide humanitaire immédiate, il faut faciliter l’obtention de visas pour les réfugiés afghans, accélérer le regroupement familial et prévoir un contingent de réinstallation supplémentaire pour les urgences humanitaires.»
Manque de volonté politique
Pour les deux prochaines années, le Conseil fédéral a décidé d’un quota de 1900 réfugiés de réinstallation. La décision a été prise en mai, c’est-à-dire avant la crise afghane. Le gouvernement pourrait augmenter ce nombre après consultation des cantons.
Cependant, la conseillère fédérale en charge de la justice, Karin Keller-Sutter, ne veut rien savoir de la facilitation des visas et d’une augmentation des quotas pour le moment. «Nous ne pouvons pas choisir arbitrairement 10’000 personnes et les évacuer de la zone de crise», a-t-elle déclaré mercredi aux médias à Berne. Pour Miriam Behrens, c’est clair: «Il y a tout simplement un manque de volonté politique.»