Un expert en terrorisme
«La victoire des talibans motivera les djihadistes en Europe»

A quel point les talibans sont-ils dangereux pour l'Occident? L'Afghanistan est-il en train de redevenir un terreau pour le djihadisme international? Réponses de l'expert en terrorisme Peter Neumann.
Publié: 22.08.2021 à 06:10 heures
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Dernière mise à jour: 22.08.2021 à 08:13 heures
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Peter Neumann, chercheur en terrorisme, met en garde contre un renforcement du terrorisme international.
Photo: Polaris/laif
Fabian Eberhard, Jocelyn Daloz (adaptation)

L’Afghanistan est en train de devenir un «émirat islamique».Le pays va-t-il bientôt servir à nouveau de puissance protectrice pour des groupes terroristes comme Al-Qaida?
Peter Neumann:
Dans l’immédiat, je ne le pense pas. Les talibans ne répéteront pas l’erreur qu’ils ont commise dans les années 1990, du moins pas tout de suite. À l’époque, ils laissaient systématiquement entrer des groupes terroristes internationaux dans le pays.

Cela a conduit à l’invasion des Américains en 2001.
Exactement. Le fait qu’ils aient donné refuge à Oussama ben Laden et à Al-Qaida a causé la perte des talibans. Ils le savent.

Peter Neumann

Peter Neumann est l'un des experts les plus réputés au monde en matière de terrorisme islamiste. Il conseille les Nations unies et les gouvernements. L'Allemand a étudié les sciences politiques à Berlin, Belfast et Londres. Jusqu'en 2018, il était directeur du Centre international pour l'étude de la radicalisation (ICSR) au King's College de Londres. En tant que professeur d'études de sécurité, il surveille notamment les profils des jeunes djihadistes sur les réseaux sociaux.

Peter Neumann est l'un des experts les plus réputés au monde en matière de terrorisme islamiste. Il conseille les Nations unies et les gouvernements. L'Allemand a étudié les sciences politiques à Berlin, Belfast et Londres. Jusqu'en 2018, il était directeur du Centre international pour l'étude de la radicalisation (ICSR) au King's College de Londres. En tant que professeur d'études de sécurité, il surveille notamment les profils des jeunes djihadistes sur les réseaux sociaux.

Il n’y a donc pas de menace immédiate que l’Afghanistan devienne un État terroriste. Et à plus long terme?
Le facteur décisif est l’évolution de l’équilibre des forces au sein des talibans. Ceux qui sont aux commandes en ce moment sont orientés vers le pragmatisme. Ils se présentent comme modérés et tentent de donner une image positive d’eux-mêmes à la communauté internationale.

Des talibans «gentils»?
Oui, mais ne nous berçons pas d’illusions: même les pragmatiques sont des fondamentalistes. Leur programme reste extrême. Même l’idée la plus progressiste au sein des talibans serait un énorme pas en arrière pour les femmes en Afghanistan. Elles n’auront guère de rôle actif dans la sphère publique.

Pourtant, c’est précisément ce que les talibans ont affirmé. Lors d’une conférence de presse mardi, un porte-parole a déclaré: «Nous voulons que les femmes travaillent, dans la police, dans le secteur de la santé et dans d’autres domaines. Nous avons besoin de femmes là-bas, car elles font partie de notre société.»
Ce serait souhaitable, bien sûr. Mais je ne peux pas imaginer que cela devienne une réalité. Les pragmatiques sont plus modérés dans leurs méthodes. Ils sont devenus plus réservés dans la mise en œuvre de leurs convictions.

Pourquoi?
Pour deux raisons. Les talibans les plus âgés se souviennent encore très bien de leur échec il y a 20 ans. Ils en ont tiré des leçons. Ils sont devenus plus prudents.

Et la deuxième raison?
Un pur calcul. Ils ont les yeux rivés sur la communauté internationale. Ils veulent maintenir des relations avec d’autres pays, espèrent des investissements, de la Chine, par exemple. Si les talibans coopèrent avec les groupes terroristes internationaux, ils peuvent oublier tout espoir d’acceptation. En outre, les talibans se sentent très forts en ce moment en raison de la conquête éclair du pays. Ils ne considèrent pas nécessaire de coopérer avec de tels groupes.

Là, vous décrivez les plus pragmatiques. Quels sont les autres?
Les partisans de la ligne dure. De jeunes commandants qui ont combattu, qui ne se soucient pas de la communauté internationale. Ils ne voient pas de raison de différer la mise en œuvre de leur programme et sont plus ouverts à la collaboration avec des groupes comme Al-Qaida. Pour l’instant, cependant, il semble que ce soit plutôt les pragmatiques qui aient le dessus.

L’Occident n’a donc pas à s’inquiéter de sa propre sécurité pour l’instant?
Il existe un autre facteur que nous ne devons pas sous-estimer.

Lequel?
La symbolique. Pour les islamistes du monde entier, la victoire des talibans est une expérience de renouveau. Depuis 2018, la scène djihadiste souffre d’une dépression collective, si l’on peut dire. Il n’y a pas eu de succès, pas de grands projets. Et maintenant, la victoire en Afghanistan. Des groupes proches de l’État islamique ou d’Al-Qaida exploitent déjà la prise de contrôle à des fins de propagande. La devise est: «regardez, nous gagnons à nouveau!».

Les développements en Afghanistan auront donc également un impact sur la scène salafiste en Europe?
Bien sûr. Ici aussi, les islamistes célèbrent la victoire de manière presque euphorique. Ils se sentent nouvellement motivés, ils ont le vent en poupe. L’effet de propagande de la conquête de Kaboul est énorme.

Le danger du terrorisme augmentera-t-il?
Légèrement, oui. Les auteurs isolés et psychologiquement instables pourraient être confortés et tenter de passer à l’acte. Ou partir eux-mêmes au combat, par exemple en Irak ou en Syrie.

Et maintenant aussi en Afghanistan.
Je ne pense pas. Les talibans ne sont pas Daech. Il s’agit d’une milice tribale pachtoune sans ambition de califat mondial. Ils veulent seulement gouverner là où il y a des Pachtounes, c’est-à-dire principalement en Afghanistan et au Pakistan.

Au lendemain de la prise de pouvoir des talibans, le président français Emmanuel Macron a mis en garde contre une résurgence du terrorisme international. Que doit faire la communauté internationale maintenant?
La première chose à faire est de traiter les conséquences humanitaires de la crise. Un soutien intensif doit être apporté aux pays voisins de l’Afghanistan. Là où de nombreux réfugiés arriveront dans les mois à venir. C’est dans leur intérêt: si la situation des réfugiés y est tolérable, ils seront moins tentés de rejoindre l’Europe.

Et en termes de politique de sécurité?
Les services de renseignement en particulier devraient se poser de sérieuses questions. Tous les services de renseignements occidentaux ont échoué. Ils n’ont pas su prévoir la rapidité de la prise de contrôle et ont complètement sous-estimé la capacité d’action des talibans.

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