De violents affrontements ont opposé mercredi forces de l'ordre et manifestants à Buenos Aires. Ils ont émaillé le débat au Sénat d'un paquet de réformes voulues par le président ultra-libéral Javier Milei, ont constaté des journalistes de l'AFP. La chambre haute du Parlement a finalement approuvé son projet révisé, après une journée marquée par les émeutes qui ont fait une dizaine de blessés.
Les violences ont débuté lorsque les manifestants ont tenté de déborder le cordon de sécurité mis en place autour de la Chambre des députés, où doit retourner la loi dite «omnibus» si les sénateurs l'approuvent. Sept personnes, dont cinq députés, ont été soignées à l'hôpital après avoir été aspergées de gaz lacrymogènes, selon le ministère de la Santé. Des voitures ont été incendiées et la police a riposté à des jets de projectiles par des tirs tendus de balles en caoutchouc et des lances à eau.
Au moins dix personnes ont été arrêtées et neuf policiers ont été blessés, a indiqué à l'AFP un porte-parole du ministère de la Sécurité. A la tombée de la nuit, les forces de l'ordre finissaient de reprendre le contrôle des rues. La présidence argentine a dénoncé «les groupes terroristes qui, à l'aide de bâtons, de pierres et même de grenades, ont tenté de perpétrer un coup d'Etat».
Flexibilisation du marché du travail
Les sénateurs débattaient depuis mercredi matin de la nouvelle version de la loi phare du gouvernement Milei rejetée dans sa forme originale de 600 articles, et adoptée avec des changements majeurs en 238 articles par la Chambre des députés en avril.
Parmi les concessions d'un exécutif devenu plus pragmatique au fil des mois: le nombre des privatisations, passées d'une quarantaine dans la version initiale à moins de 10 dont celle toujours sur la table de la compagnie aérienne publique Aerolineas Argentinas. Le projet de flexibilisation du marché du travail est aussi débattu par les sénateurs. Et une réforme fiscale, initialement partie de la loi omnibus, a été dissociée pour être discutée à part, dans la même session.
Le sénateur d'opposition Mariano Recalde a estimé que ce projet de loi, les réformes du travail en particulier, «nous ramènent au siècle dernier lorsque l'employé n'avait aucun droit». «Nous ne pouvons pas croire qu'en Argentine, nous discutons d'une loi qui nous ramènera 100 ans en arrière», a renchéri parmi les manifestants Fabio Nunez, un avocat de 55 ans.
«Catalyseur du redressement»
La loi est «un accélérateur, un catalyseur du redressement de la situation économique», a plaidé le ministre de l'Economie Luis Caputo mercredi. Mais, se prémunissant contre un éventuel rejet, il a affirmé que le vote ou non de la loi «ne changera rien au fait que ce pays va se redresser quand même, car ce gouvernement ne changera pas de cap. L'ordre macroéconomique se poursuivra».
Car au-delà des tribulations législatives, la «thérapie choc» d'austérité promise – le «plus grand ajustement budgétaire de l'histoire de l'humanité» selon Javier Milei – impacte bel et bien depuis décembre, entre dévaluation brutale du peso (54%), prix et loyers libérés, fin des subventions aux transports, à l'énergie, gel des chantiers publics, coupes budgétaires tous azimuts, etc.
Le président claironne régulièrement que l'inflation est «dominée», avec une décélération continue depuis cinq mois: de 25% mensuels à 8,8% en avril. Et un budget à l'excédent au premier trimestre, sans précédent depuis 16 ans. En contrepartie, l'austérité étrangle la consommation, l'activité économique s'effondre, et la récession s'installe, avec une contraction de -5,3% de l'économie au premier trimestre. Sans signe imminent de rebond.
Faire passer des lois
Et surtout «depuis le FMI jusqu'aux investisseurs étrangers, de nombreux acteurs affirment que, pour que la proposition (Milei) soit crédible, il faut des lois passées au Parlement, des accords, un Etat plus ou moins fonctionnel», estime Ivan Schuliaquer, politologue a l'Université de San Martin.
Mais six mois après son accession à la présidence, Javier Milei n'en a pas encore fait approuver la moindre au Parlement, victime d'une arithmétique contraire : son petit parti, la Libertad Avanza, n'est que la troisième force à la Chambre des députés, et au Sénat ne compte que sept parlementaires sur 72. Outre le renvoi forcé en commissions de la loi «omnibus», le Sénat a rejeté en mars le «décret de nécessité et d'urgence», méga-décret publié au début de sa présidence et à ce jour partiellement en vigueur.