Après la prise de contrôle du pays par l'armée, le président du Bangladesh Mohammed Shahabuddin a dissous le Parlement ce mardi, donnant satisfaction aux étudiants dont le mouvement de contestation a chassé du pouvoir la Première ministre Sheikh Hasina. «Le président a dissous le Parlement», a déclaré un porte-parole de la présidence, Shiplu Zaman, dans un communiqué.
Les étudiants protestataires appelaient à cette dissolution du Parlement, tout comme le principal parti d'opposition, le Bangladesh Nationalist Party (BNP), qui exigent des élections d'ici trois mois.
Les manifestations contre un système de quotas d'embauche dans l'administration ont fait au moins 413 morts depuis début juillet à travers le pays.
Elles ont finalement abouti lundi au départ de Sheikh Hasina, 76 ans, contrainte de s'enfuir à bord d'un hélicoptère. Elle a atterri dans une base militaire près de New Delhi, selon la presse indienne, mais une source de haut niveau a affirmé qu'elle ne faisait que «transiter» par le pays avant de se rendre à Londres. L'appel du gouvernement britannique à une enquête de l'ONU sur des «niveaux de violence sans précédents» a cependant mis en doute cette destination.
La police demande pardon
Dans le pays troublé, le principal syndicat de policiers au Bangladesh a demandé «pardon» pour avoir tiré sur des étudiants, dans un communiqué publié mardi. Le syndicat a affirmé que les officiers de police avaient été «forcés à ouvrir le feu» puis présentés comme les «méchants». Il a annoncé aussi une grève pour garantir la sécurité des policiers..
Le chef de l'armée bangladaise, le général Waker-Uz-Zaman, qui doit rencontrer mardi les dirigeants du mouvement étudiant, avait annoncé lundi la formation prochaine d'un gouvernement intérimaire. Il avait promis de réparer «toutes les injustices» et de lever le couvre-feu dès mardi.
Un chef de file du principal mouvement étudiant à l'origine des manifestations initiées début juillet dans le pays a par ailleurs souhaité mardi que ce soit le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus qui dirige le gouvernement intérimaire. «Nous faisons confiance au Dr Yunus», a écrit sur Facebook Asif Mahmud, un des principaux dirigeants du collectif Students Against Discrimination (Etudiants contre la discrimination).
Muhammad Yunus n'a pas commenté. Mais dans un entretien accordé au journal indien The Print, il a affirmé que le Bangladesh avait été «un pays occupé» sous le régime de Sheikh Hasina. Muhammad Yunus, 84 ans, est connu pour avoir sorti des millions de personnes de la pauvreté grâce à sa banque de microfinance, pionnière en la matière, mais il s'était attiré l'inimitié persistante de Sheikh Hasina, qui l'avait accusé de «sucer le sang» des pauvres.
Le calme revient
Actuellement en Europe, un de ses proches collaborateurs a déclaré lundi que Muhammad Yunus n'avait reçu aucune proposition de l'armée pour diriger le gouvernement intérimaire. Le président et le chef de l'armée avaient rencontré le président Mohammed Shahabuddin lundi en fin de journée, ainsi que les principaux dirigeants de l'opposition. Le service de presse du président avait déclaré qu'il avait été «décidé de former immédiatement un gouvernement intérimaire». La situation était calme mardi dans la capitale, Dacca.
Si la circulation a repris et les magasins ont rouvert, les bureaux de l'administration restaient cependant fermés, au lendemain de violences qui ont fait au moins 113 morts.
Après l'allocution du général le général Waker-Uz-Zaman, des millions de Bangladais avaient envahi les rues de Dacca lundi. Les manifestants avaient envahi le Parlement, incendié des chaînes de télévision pro-gouvernementales et brisé des statues du père de la Première ministre Sheikh Mujibur Rahman, héros de l'indépendance du pays.
Les bureaux de la Ligue Awami, le parti de Sheikh Hasina, ont été incendiés et pillés à travers le pays, ont indiqué des témoins à l'AFP. Des commerces et des maisons appartenant à des hindous - un groupe considéré par certains dans ce pays à majorité musulmane comme étant proche de Sheikh Hasina - ont également été attaqués, selon des témoins.
L'inde préoccupée
Revenue au pouvoir en 2009, Sheikh Hasina avait remporté en janvier un cinquième mandat à l'issue d'une élection sans véritable opposition. Les manifestations avaient commencé début juillet après la réintroduction d'un régime réservant près d'un tiers des emplois dans la fonction publique aux descendants d'anciens combattants de la guerre d'indépendance. Le gouvernement de Sheikh Hasina avait été accusé par les organisations de défense des droits humains de mettre à son service les institutions pour asseoir son emprise et éradiquer toute dissidence.
Le chef de l'État a ordonné lundi en fin de journée la libération des personnes arrêtées lors des manifestations. L'ex-Première ministre et cheffe de l'opposition Khaleda Zia, 78 ans, a par ailleurs été libérée mardi, selon le porte-parole de sa formation, le Parti nationaliste du Bangladesh. Grande rivale de Sheikh Hasina, la cheffe du BNP avait été condamnée à 17 ans de prison pour corruption en 2018.
Dès mardi à Dacca, les mères de certains des centaines de prisonniers politiques secrètement emprisonnés sous le régime de Sheikh Hasina attendaient devant les services du renseignement militaire, espérant des nouvelles. «Nous avons besoin de réponses», a déclaré Sanjida Islam Tulee, coordinatrice de «Mayer Daak», c'est-à-dire «l'appel des mères», qui milite pour la libération des personnes détenues par les forces de sécurité de Sheikh Hasina.
L'Inde s'est dite mardi «profondément préoccupée» par la crise au Bangladesh voisin. Le ministre indien des Affaires étrangères Subrahmanyam Jaishankar a déclaré devant le parlement qu'il resterait «profondément préoccupé jusqu'à ce que l'ordre public soit clairement rétabli», tout en confirmant la présence de Sheikh Hasina en Inde.