Menaces américaines
A Davos, le choc Trump-Poutine entre dans le dur (à distance)

Le Président américain prendra la parole à distance au Forum de Davos ce jeudi 23 janvier à 17h. Avec pour première mission de convaincre qu'il peut bel et bien faire reculer Vladimir Poutine. Ce qui n'est pas sûr du tout.
Publié: 13:46 heures
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Dernière mise à jour: 15:57 heures
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Donald Trump a promis d'être un faiseur de paix. En Ukraine aussi face à Vladimir Poutine?
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Donald Trump le «peacemaker» (faiseur de paix) a un sérieux problème: Vladimir Poutine, ce dirigeant «qu’il respecte» et avec lequel il entretient «de bonnes relations», est aujourd’hui en position de force. Et c’est cette force que le 47e Président des États-Unis va devoir affronter, pour la première fois ce jeudi au Forum de Davos, en direct et en visioconférence, lors de son intervention très attendue à 17 heures.

Le plus évident est la force militaire, puisque le front ukrainien cède progressivement, localité après localité, face au rouleau compresseur de l’armée russe. Impossible, dès lors, pour la nouvelle administration américaine, d’imaginer un Vladimir Poutine enclin à reculer et à concéder des territoires conquis par ses troupes, alors que son approvisionnement en armes et munitions est garanti par la Corée du Nord. Laquelle a également mis à sa disposition un contingent estimé de 10'000 soldats d’élite nord-coréens, engagés en première ligne dans la poche russe de Koursk conquise par les Ukrainiens après leur offensive d’août 2024.

Le rendez-vous de Munich

Conséquence: l’émissaire spécial de Donald Trump pour le conflit en Ukraine, l’ancien Général Keith Kellog, a d’ailleurs préféré déprogrammer sa visite à Kiev et dans les capitales européennes qui devait avoir lieu en janvier. On parle maintenant d’une tournée en février, juste avant la conférence annuelle sur la sécurité de Munich, en Allemagne, les 15 et 16 février. Le temps pour Michael Waltz, le nouveau conseiller à la sécurité nationale de Trump, de se faire une idée juste de la situation. Le temps, aussi pour le candidat au Ministère de la Défense, l’ancien commando et présentateur TV de Fox News Pete Hegseth, d’être approuvé par le Sénat.

Plus compliqué pour Donald Trump qui a évoqué, depuis son bureau de la Maison Blanche, de possibles «nouvelles sanctions contre Moscou» en regrettant le fait que «Poutine détruise la Russie», la force économique n’est pas non plus complètement du côté de Washington.

Commandes d’armement russes

Certes, le rouble a perdu en deux ans la moitié de sa valeur et les investisseurs occidentaux ont presque tous quitté la Russie. Mais sur le plan domestique, les commandes d’armement et l’explosion du secteur de la défense ont pris le relais des exportations de ressources naturelles.

Bien que soumis à une avalanche de sanctions américaines et européennes (le 15e paquet de sanctions de l’Union européenne a été adopté le 16 décembre et doit être repris par la Suisse, comme les précédents), la Russie a donc vu son Produit Intérieur Brut (PIB) croître de 1,5% en 2024. 

Et pour l’heure, même l’OTAN (l’alliance atlantique dominée par les États-Unis) reconnaît qu’il faut encore attendre dans une note économique du 23 novembre: «À ce jour, le Kremlin a instauré une économie de guerre plus isolée, qui s’appuie sur une augmentation de ses dépenses de défense et une hausse des salaires, le tout étant financé par les revenus liés à l’énergie et des réserves financières. Les dépenses publiques ont ainsi atteint un niveau record en 2023. Les dépenses militaires ont absorbé – et continuent d’absorber – une part majeure du budget annuel du pays.»

Il avait promis d’aller vite

Et les experts de l’OTAN d’ajouter: «Une telle politique budgétaire expansionniste a engendré d’importants déséquilibres économiques, notamment au niveau de l’inflation, ce qui a obligé la banque centrale à maintenir les taux d’intérêt à un niveau élevé. Un marché du travail très tendu – résultat des commandes importantes passées aux entreprises russes de la défense, de la conscription militaire et de l’exode de centaines de milliers de jeunes – a entraîné la hausse des salaires. Ces difficultés suscitent donc des interrogations quant à la viabilité à long terme de la politique économique actuelle.»

L’expression la plus difficile à avaler pour le très impatient Trump est «à long terme». Car lui a promis d’aller vite. D’abord en jurant de faire la paix en Ukraine «en un jour». Ensuite en quelques semaines. Maintenant en quelques mois. Or à Davos, le 47e Président des États-Unis va devoir convaincre qu’il a un plan pour faire plier Poutine, au-delà d’une probable rencontre au sommet. Et encore, car même ce sommet n’est pas acquis. 

Le président Russe, lui, y a objectivement intérêt. Sa volonté est, depuis le début de la guerre en Ukraine, de passer au-dessus de la tête de Kiev et des Européens. Trump? Le souvenir de ses deux rencontres, en 2028 et 2019, avec le dictateur communiste Nord-Coréen Kim Jong-un, hante sa nouvelle administration. Depuis lors, Pyongyang a plus que jamais réintégré «l’axe du mal» à côté de la Russie et de l’Iran.

«Trump parle de nouvelles sanctions, mais il y a en réalité une seule menace qui pourrait aujourd’hui faire bouger Poutine: la confiscation pure et simple des avoirs russes publics et privés saisis aux États-Unis et en Europe» juge une source à Bruxelles. Le volume total des avoirs russes gelés après le déclenchement de la guerre est évalué entre 300 et 330 milliards d’euros. 4 à 5 milliards de dollars d’actifs privés russes ont déjà été gelés aux États-Unis. Environ 26 milliards d’actifs appartenant aux oligarques russes ont été gelés sur le continent européen. S’y ajoute le «magot» principal: 300 milliards de dollars d’actifs appartenant à la banque centrale russe, dont 192 gelés dans la société Euroclear, basée à Bruxelles.

Du gel des revenus à la confiscation

Depuis mai 2024, une première étape a été franchie par une décision de l’Union européenne: la confiscation des revenus générés par ces capitaux, reversés pour financer les achats d’armement et la reconstruction de l’Ukraine. 1,5 milliards ont déjà été reversés à cette fin. Or la justice américaine a, sous l’administration Biden, préparé l’étape suivante, beaucoup plus risquée du point de vue juridique: la confiscation pure et simple

CNN l’affirmait début janvier. «Les principaux collaborateurs de Joe Biden s’efforcent de convaincre les partenaires européens de soutenir le transfert de quelque 300 milliards de dollars d’argent russe sur un nouveau compte bloqué qui ne serait débloqué que dans le cadre d’un accord de paix. Cet argent appartient à la banque centrale russe et a été initialement gelé il y a trois ans, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Et si Trump reprenait cette idée?

Prochain sommet

La question du prochain sommet est aussi un verrou pour la stratégie russe du président américain. En juillet 2018, Donald Trump avait rencontré Vladimir Poutine à Helsinki, capitale d’une Finlande alors neutre (or elle a rejoint l’OTAN suite à la guerre en Ukraine). En juin 2021, Joe Biden avait rencontré Poutine à Genève, ce que la Suisse rêve de rééditer.

Quel lieu peut choisir Donald Trump pour ne pas apparaître comme l’otage de Poutine? L’idée de se voir à Budapest, capitale de la Hongrie du pro-Russe Viktor Orbán, sonnerait comme une première concession diplomatique. Un sommet à Istanbul, en Turquie, serait un gage important donné au président turc Erdogan, soutien du nouveau régime islamiste en Syrie. C’est peut-être là que le retour alpin de Trump à Davos peut jouer un rôle: sur le papier, la Suisse, très impliquée dans la préparation d’une possible négociation pour mettre fin au conflit ukrainien, conserve en effet de solides avantages.

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