En anglais, le terme roast désigne communément un rôti. Mais aussi le fait, souvent sur Internet, de se moquer copieusement de quelque chose ou quelqu’un. Soit exactement ce qui s’est passé le 2 janvier dernier, lorsque Netflix a mis en ligne sur les réseaux sociaux la bande-annonce de l’une de ses séries à venir.
Dans With Love, Meghan, qui sortira la semaine prochaine, Meghan Markle coupe de la ciboulette, cueille des légumes dans son jardin en tablier, éclate de rire avec grâce et élégance après avoir arrosé un houmous d’huile d’olive, et récolte même du miel en combinaison blanche
Des images semblant tout droit sorties des réseaux sociaux des tradwives mormones qui cartonnent habituellement. Sauf que là, ça ne prend pas. Sur X, l’épouse du prince Harry se fait donc roast par des dizaines d’Internautes prompts à rire (au mieux) ou à vertement critiquer (au pire) ce qui s’annonce comme le show Netflix le plus risqué de la rentrée.
Un «Megxit»
Il y a cinq ans quasiment jour pour jour, l’ancienne actrice reconvertie en princesse britannique avait abandonné ses missions, sa rente et l’Angleterre avec son mari. Ensemble, avec leur fils Archie, ils se sont installés aux États-Unis, fuyant les obligations et les carcans de la famille royale.
Ce «Megxit», qui aurait pu asseoir la popularité du couple en lui rendant sa liberté, a au contraire entériné le divorce entre Meghan Markle et le public. Comme un rendez-vous manqué pour l’ex-duchesse du Sussex, aujourd’hui pointée du doigt dès qu’elle bouge les siens, même le plus petit.
Une princesse divorcée, métisse et indépendante
Sur le papier, pourtant, Meghan aurait pu faire souffler un vent de modernité sur une monarchie compassée. Lorsqu’elle se fiance avec Harry en 2017, l’actrice rendue célèbre par la série Suits incarne tout ce que la famille royale regarde d’habitude d’un mauvais œil.
N’ayant d’abord pas le bon goût d’être britannique, elle est aussi divorcée, catholique (elle s’est convertie à l’Église anglicane avant le mariage), métisse, plus âgée que le prince, et ouvertement opposée aux mondanités. Surtout, elle n’a pas le langage policé propre à la famille royale et son entourage. «Nous sommes amoureux, nous sommes heureux», déclare-t-elle ainsi auprès de «Vanity Fair» après les fiançailles.
Au début, cela fonctionne. Parce que l’actrice fait profil bas et se coule dans le moule au moins du style vestimentaire attendu d’une épouse royale, on la laisse tranquille. Comme Kate avant elle, les Britanniques copient ses looks dès qu’ils le peuvent – les médias locaux parlent alors de Meghan Sparkle, l’étincelle Meghan – et le mariage célébré en 2018 déclenche une véritable liesse populaire. L’image de la duchesse de Sussex parcourant seule une partie du chemin, conforme à celle de femme indépendante qu’elle crante dans l’opinion, impressionne.
Dès 2019, les tabloïds passent à l’attaque
Mais la lune de miel est de courte durée. Dès 2019, les tabloïds, déjà brocardés avant les fiançailles par Harry qui les déteste franchement depuis la mort de sa mère, la princesse Diana, dont il les juge responsables, s’attaquent au couple fraîchement marié. Dans leur ligne de mire, notamment, le bilan carbone du duo, qui n’hésite pourtant pas à parler de dérèglement climatique entre deux avions. Tout ce que fait Meghan est scruté, disséqué, commenté, vilipendé. Comme le fait, par exemple, qu’elle pose régulièrement sa main sur son ventre arrondi par sa première grossesse.
Le «Daily Mail» exhume une lettre, envoyée par la trentenaire à son propre père, avec lequel les relations sont difficiles, pour lui demander de cesser de s’épancher dans les médias. Deux ans plus tard, en 2021, Meghan Markle gagnera son procès contre le journal, pour violation de sa vie privée.
Mais en attendant, son refus de jouer le jeu avec des médias britanniques habitués à ce que les royals leur accordent quelques photos en échange d’un certain respect, creuse le gouffre entre les Sussex et l’opinion. L’un des exemples les plus parlants est celui de la naissance d’Archie, le premier enfant du couple.
Kate Middleton s’était toujours livrée à l’exercice, qu’on imagine pénible en plus d’être terriblement ringard, de la présentation de sa progéniture sur le parvis de la maternité, parfaitement coiffée et maquillée quelques heures seulement après son accouchement. Harry et Meghan préviennent rapidement qu’ils ne comptent absolument pas faire de même.
«Ils ont laissé tomber la Reine»
À ce moment-là pourtant, tout est encore jouable pour les amoureux. Fin 2019, 55% des Britanniques ont une opinion positive de Meghan Markle, contre 35% d’opinions négatives. La tendance s’inverse brutalement en janvier 2020, quand les Sussex décident de partir en Amérique du Nord et d’abandonner leur héritage.
Pour le public britannique, cet abandon est interprété comme de l’ingratitude. «Ils ont laissé tomber la Reine», analyse Ingrid Steward, journaliste américaine spécialiste des têtes couronnées, auprès du journal britannique «The Standard». Plus que des privilèges, ce sont des devoirs qu’abandonnent Harry et Meghan. La cote de popularité de la seconde plonge, avec seulement 38% d’opinions positives après l’annonce.
L’interview à Oprah Winfrey, lors de laquelle le couple raconte le racisme dont Meghan a été victime au sein même de la famille royale, sous le regard indifférent de beaucoup de ses membres, n’arrange pas les choses. «Ils sont alors vus comme des narcissiques qui passent leur temps à dire du mal de la Couronne», souligne Nile Gardiner, à la tête d’un think tank conservateur, The Heritage Foundation, au média «GB News».
Au Royaume-Uni, de houleux débats éclatent entre des personnalités et des universitaires noirs, qui estiment que les tabloïds britanniques ont bien fait preuve de racisme envers la duchesse, et les éditorialistes spécialistes de la monarchie, qui nient toute différence de traitement basé sur la couleur de peau, et jugent donc que la jeune femme se victimise. La première erreur du couple est de ne pas parvenir à imposer leur narratif dans l’opinion.
Trop de paradoxes pour plaire
Pourtant, les armes de la communication sont bien là, à commencer par un deal avec Netflix pour produire des contenus à hauteur, dit-on, de 100 millions d’euros. Mais la série documentaire Harry & Meghan, sortie en 2022, est un premier échec: un interminable roman-photo déconnecté, qui n’analyse jamais les ressorts racistes de la presse à scandale que le couple dénonce.
Meghan y apparaît méprisante envers l’étiquette, notamment la révérence à maîtriser devant la Reine, qu’elle raconte ne pas savoir faire lorsqu’elle la rencontre pour la première fois. Les images font rapidement le tour du monde, et des experts en langage corporel se succèdent pour expliquer que même Harry est gêné.
Surtout, cette série documentaire entérine le paradoxe qui explique en grande partie le rendez-vous manqué des Sussex avec l’opinion. Alors qu’ils clament haut et fort vouloir protéger leur vie privée, raison numéro une pour laquelle ils ont quitté la famille royale, ils s’affichent à la sortie de la douche sur Netflix.
Ce paradoxe se creuse encore lors de la publication de Spare, autobiographie souvent embarrassante du prince Harry, dans laquelle il multiplie les détails intimes. Il suffit d’observer aujourd’hui les réactions à la bande-annonce de la nouvelle série lifestyle de Meghan pour constater à quel point le public raille le positionnement incompréhensible du couple, qui protègerait jalousement son jardin privé, tout en invitant la Terre entière à le visiter.
Une rupture avec l’industrie
La rupture n’est pas seulement avec le public, elle est aussi avec l’industrie du divertissement que les Sussex veulent investir en arrivant aux États-Unis. Un juteux contrat avec la plateforme Spotify pour produire des podcasts est ainsi rompu en 2023. Selon les médias américains, le géant du streaming regrette que Meghan et Harry ne proposent pas suffisamment de contenus.
«Franchement, on leur a donné toutes les opportunités de briller à Hollywood», analyse cruellement Jane Owens, célèbre agente hollywoodienne, dans «The Standard». «Ils ont fait pire que ne rien faire, ils ont activement détruit toutes ces opportunités. Hollywood peut être comparé à un lycée pour comprendre les comportements des gens. Et pour reprendre cette analogie, ils sont devenus les ados les plus impopulaires de l’école.»
La série With Love, Meghan sera-t-elle l’occasion de redresser la barre? Rien n’est moins sûr. Il y a, bien entendu, des fans pour rappeler qu’avant d’être la fiancée de Harry, l’Américaine tenait un blog, The Tig, précisément consacré à la cuisine et au lifestyle. «C’était une créatrice de contenu brillante, et elle l’a toujours fait avec un prisme de justice sociale et de philanthropie. Ses goûts sont impeccables», admire ainsi une internaute sur X.
«Voilà pourquoi le monde ne vous aime pas»
Mais la présentatrice et commentatrice politique américaine Meghan McCain a, elle, une autre analyse, bien plus sévère. L’ex-actrice «semble oublier que les Américains veulent du vrai, du brut, du non-censuré. [Cette série], même simplement dans la bande-annonce, est sélectionné, très produit et déconnecté. Voilà pourquoi le monde ne vous aime pas: vous êtes complètement sourde à ce qui se passe en ce moment.»
Qui, alors que les États-Unis traversent une crise politique et sociale, a envie de voir une femme parfaite dresser parfaitement un fraisier? Le podcasteur Zach Peter enfonce le clou: «Nous ne sommes plus en 2014. Les gens ne veulent plus les meilleurs extraits de la vie d’influenceurs, ils réclament de l’authenticité.»
C’est cela, plus encore que toutes les critiques à l’encontre de la monarchie britannique, qui plombe aujourd’hui Meghan Markle et l’éloigne d’un public qui ne demandait qu’à la rencontrer. Elle-même semble aujourd’hui très consciente de cette distance: lorsqu’elle a réactivé son compte Instagram le 1er janvier dernier, pour la première fois depuis ses fiançailles en 2017, son premier post – une vidéo en noir et blanc d’elle sur la plage de Montecito, en Californie, où elle réside dans une vaste demeure avec 16 chambres et autant de salles de bain – était impeccablement calibré mais dénué de commentaires. La duchesse les a en effet fermés sur ses réseaux.