Les principales théories
Qui se cache derrière la mort de Daria Douguine?

Le meurtre de Daria Douguine continue d'intéresser. Qui se cache derrière l'attentat contre la fille de l'instigateur de Poutine? Trois théories sont actuellement au premier plan. Un aperçu.
Publié: 24.08.2022 à 21:26 heures
La dernière photo de Daria Douguine, avec son père Alexandre Douguine.
Photo: Twitter
Anastasia Mamonova

Daria Douguine est morte ce samedi soir près de Moscou dans un attentat à la voiture piégée. La fille de l’idéologue nationaliste d’extrême droite Alexandre Douguine revenait d’un festival traditionnel où son père donnait une conférence. Peu de temps après son départ, sa Toyota Land Cruiser Prado a explosé en cours de route. La jeune femme est morte sur le coup.

De nombreuses questions restent en suspens depuis. Qui se cache derrière l’attentat? Qu’est-ce que l’incident signifie pour Vladimir Poutine?

Que dit la Russie?

La Russie tient l’Ukraine pour responsable du meurtre. «Le crime a été préparé et commis par les services secrets ukrainiens», a fait savoir lundi le FSB, le service de renseignement intérieur russe. Concrètement, l’agente Natalia V.* serait entrée en Russie avec sa fille Sofia, 12 ans, le 23 juillet.

Selon le gouvernement russe, elles auraient loué un appartement dans le même immeuble que Daria Douguine. Le jour de l’attentat, l’agente et sa fille auraient assisté au festival de littérature et de musique dont la jeune journaliste était l’invitée d’honneur. Selon les rapports, l’engin explosif aurait été placé sous la voiture, sur le parking du festival. Or, les caméras du parking auraient été hors service à ce moment-là.

Natalia V. aurait ensuite suivi Daria Douguine dans une Mini Cooper faussement immatriculée. Après l’explosion de la bombe, la mère et la fille se seraient enfuies direction l’Estonie, avec une plaque d’immatriculation ukrainienne. Aux portes de la Russie, un numéro de la République populaire autoproclamée de Donetsk aurait figuré sur la plaque. La voiture aurait ensuite été vue avec une immatriculation kazakhe.

Natalia V. apparaît également sur le site internet russe de doxa Nemesida, qui publie des données sur les soldats ukrainiens et qui serait géré par des spécialistes de la cybersécurité pro-russes. Elle y est accusée d’être membre du régiment Azov et d’avoir servi dans la garde nationale ukrainienne. L’agence de presse publique Ria Novosti a par ailleurs publié une vidéo montrant un correspondant à Marioupol. Dans la cage d’escalier, il rencontre une femme qui se présente comme la cousine de Natalia V. Celle-ci lui dit que Natalia V. a servi dans les forces armées ukrainiennes et qu’elle s’est rendue en Europe il y a un mois.

Qu’est-ce qui est incohérent dans la version de la Russie?

Le fondateur de la plateforme d’investigation Bellingcat, Christo Grozev, a souligné que Natalia V. figurait déjà en avril 2022 sur le site de doxing russe Nemesida et qu’elle y était présentée comme une «nationaliste ukrainienne». Avec la photo d’une carte d’identité censée prouver qu’elle aurait servi dans la garde nationale ukrainienne. «Comment est-elle arrivée en Russie avec cette empreinte militaire facile à trouver?», interroge Christo Grozev.

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Comment l’Estonie réagit-elle?

Le ministre estonien des Affaires étrangères Urmas Reinsalu dément quant à lui que Natalia V. ait fui en Estonie. Selon l’évaluation actuelle du bureau des affaires étrangères à Tallinn, cette affirmation fait partie d’une opération de désinformation, a-t-il déclaré lundi soir sur les ondes de la radio estonienne. «Nous considérons cette thèse comme une provocation de la Fédération de Russie, dans la lignée d’une très longue série de provocations, et nous n’avons rien de plus à dire à ce sujet pour le moment», a asséné Urmas Reinsalu.

Un porte-parole du bureau du procureur général estonien à Tallinn a déclaré à l’agence BNS que le bureau n’avait reçu aucune demande de la part de la Russie.

Que répond l’Ukraine à ces accusations?

Kiev rejette ces accusations. «L’Ukraine n’a bien sûr rien à voir avec cette explosion, car nous ne sommes pas un Etat criminel – contrairement à la Fédération de Russie, a tonné le conseiller présidentiel Mykhaïlo Podoliak, et encore moins un Etat terroriste.»

Le régiment Azov rejette également ces incriminations. «Cette femme n’a jamais fait partie de notre unité», peut-on lire dans une déclaration sur Telegram. Au sein du régiment Azov, on est convaincu que cette attaque terroriste doit servir de préparation au «tribunal» des combattants Azov. Les séparatistes projetteraient d’organiser des procès à Marioupol.

Y a-t-il d’autres théories?

L’ancien député russe Ilia Ponomarev avance une autre hypothèse. Il affirme que l’attentat est l’œuvre d’un groupe clandestin. Sur une chaîne d’opposition russe exploitée en Ukraine, il aurait lu un prétendu manifeste de la soi-disant Armée républicaine nationale (NRA). Dans celui-ci, Daria Douguine serait désignée comme une cible légitime dans la lutte contre le président russe.

Après le rapport du FSB sur Natalia V., Ilia Ponomarev a déclaré au portail indépendant Meduza que V. n’était «pas directement impliquée dans le crime», même si elle n’était «pas une personne extérieure». «Ce n’est pas la personne qui a commis l’attentat, mais c’est une personne qui mérite d’être protégée», a-t-il déclaré.

Beaucoup doutent toutefois de cette théorie. «Il existe parmi les opposants russes des doutes considérables sur l’authenticité du groupe», écrit sur Twitter la journaliste Anastasia Tikhomirova, qui travaille également pour l’hebdomadaire allemand «Zeit». Elle qualifie Ilia Ponomarev de «pas forcément digne de confiance».

Qui d’autre trouverait un intérêt dans la mort de Douguine?

Anastasia Tikhomirova pense que l’attentat «pourrait être un prétexte du FSB» pour «étendre la répression aux activistes et les espionner».

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Le sociologue russe Igor Eidman est également convaincu que les services secrets russes eux-mêmes sont à l’origine de l’attentat. «Cela ressemble à une provocation, écrit-il sur Telegram. Le but: avoir un prétexte pour renforcer la terreur de Poutine à la fois dans le pays et contre les dirigeants ukrainiens.»

L’historien russo-américain Yuri Felshtinsky déclare au portail ukrainien Fakty que, même si de très nombreuses personnes pourraient profiter de la mort d’Alexandre Douguine ou de sa fille, il n’estime pas que les Ukrainiens sont derrière tout cela. «Je pense que, pour des raisons que nous ne connaissons encore peut-être pas, les services secrets russes sont derrière cet assassinat.»

Le politologue Nico Lange envisage lui aussi la possibilité que ni l’Ukraine ni des partisans secrets ne soient derrière l’attentat. Il déclare à la chaîne allemande ZDF que les «opérations spéciales» de la jeune femme de 29 ans ne sont pas allées assez loin. «Ce qui pourrait avoir mis Poutine sous pression», soupçonne Nico Lange. Il avance également la possibilité que l’attentat ait été perpétré pour fournir un prétexte aux autorités russes, afin qu’une résistance plus dure soit acceptée par la population.

Alexandre Douguine était-il la véritable cible?

Immédiatement après la mort de la jeune femme, des partisans et des connaissances d’Alexandre Douguine ont tonné que l’Ukraine était derrière l’exécution, et que le philosophe lui-même était la cible. «Les terroristes du régime ukrainien qui veulent liquider Alexandre Douguine ont fait exploser sa fille», n’hésite pas à affirmer le chef séparatiste de Donetsk Denis Pouchiline à ce sujet.

Ce mercredi, l’agence de presse Tass rapporte, en se référant à une source anonyme au sein des forces de l’ordre, qu’Alexandre Douguine n’aurait jamais intéressé les commanditaires du meurtre. «Ceux qui ont préparé l’assassinat de Daria Douguine ne s’intéressaient qu’à l’emploi du temps et aux habitudes de la journaliste elle-même. Ceux qui ont déclenché l’engin explosif à distance savaient pertinemment qu’elle voyageait seule. Le père n’était pas la cible des tueurs.»

Daria Douguine aurait donc bien été dans la ligne de mire des commanditaires. Le fait que la voiture – contrairement aux premières informations – appartenait à la journaliste elle-même et non à son père semble confirmer cette idée, rapporte le journal «Komsomolskaja Pravda», proche du Kremlin.

Que signifie cet attentat pour Poutine?

L’ancien rédacteur de discours de Vladimir Poutine et analyste politique Abbas Galliamov qualifie ce meurtre de «tentative d’intimidation» visant des personnes fidèles au Kremlin.

Pour eux, il s’agit d’un acte symbolique qui montre que les hostilités se sont déplacées sur le territoire russe. Ce qui signifie qu’il ne s’agit plus d’une guerre abstraite que l’on voit à la télévision, a-t-il déclaré au «Washington Post»: «Cela se passe déjà en Russie. Non seulement la Crimée est bombardée, mais des attentats terroristes sont déjà perpétrés dans la région de Moscou.» Selon Abbas Galliamov, le fait que «Daria Douguine était une commentatrice politique ordinaire» accroît la peur parmi les partisans de Vladimir Poutine.

*Nom connu de la rédaction

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