Ici, sur Terre, la guerre fait rage. Là-haut, dans l'espace, la guerre menace. «Ce qui se passe en Ukraine est choquant», déclarent les astronautes américaines Kathryn Sullivan et Ellen Ochoa. Les Américaines sont des pionnières et des modèles. Elles font partie des premières femmes à s'être rendues dans l'espace. Blick les a rencontrées à Lausanne, pour une double interview.
A l'heure actuelle, préféreriez-vous être dans l'espace ou ici sur Terre?
Kathryn Sullivan: Dans des moments comme celui-ci, je préférerais parfois vraiment être dans l'espace. Quand vous y êtes, vous ressentez une paix très particulière. Dans les moments de calme, j'étais collée au hublot et j'observais notre planète de loin. C'était magique! Mais une telle mission en navette spatiale est aussi très stressante.
Ellen Ochoa: Très stressant est un euphémisme, Kathryn (rires). Lors d'une telle mission, on a dix jours maximum pour faire le boulot et on essaie, bien sûr, de faire le plus de choses possibles. Nous avons donc peu de temps pour être à la fenêtre. Je rappelle quand même avoir eu de la chance lors d'une mission...
Kathryn Sullivan: Je sais laquelle! Je suis encore jalouse de toi. (rires)
Ellen Ochoa: Oui, nous avons pu étudier l'atmosphère terrestre. Pour cela, nous devions monter toutes les 45 minutes sur le pont d'envol pour filmer les levers et les couchers de soleil. J'ai donc pu me tenir près de la fenêtre et regarder à l'extérieur.
Et pendant que vous êtes dans l'espace, les guerres font rage sur terre ...
Kathryn Sullivan: Ce n'est pas comme si, lors d'une mission, on perdait complètement la vue d'ensemble de ce qui se passe sur Terre. J'ai déjà survolé des zones de guerre, on les voit depuis l'espace. Un de mes collègues était en orbite pendant les attentats terroristes du 11 septembre. Il a même vu les panaches de fumée des tours en feu depuis l'espace.
L'espace est encore paisible. Mais cela pourrait changer, selon de nombreux experts. Y'aura-t-il bientôt des guerres dans l'espace?
Kathryn Sullivan: Je le crains. C'est dans notre nature de toujours chercher à prendre l'avantage. Malheureusement, il y a des gens audacieux et impitoyables qui ne jouent pas selon les règles. On le voit en ce moment même avec la guerre en Ukraine.
Ellen Ochoa: J'espère sincèrement que la paix règnera là-haut. L'espace est un domaine où tous les pays se réunissent pour travailler dans l'intérêt de l'humanité. Au cours de mes 30 années à la Nasa, les relations entre les États-Unis et la Russie ont été tantôt bonnes, tantôt mauvaises. Mais pendant tout ce temps, nous avons malgré tout toujours pu travailler ensemble en toute sécurité et en bonne intelligence.
La Russie, l'Inde et la Chine ont déjà prouvé qu'elles pouvaient faire tomber des satellites d'orbite avec des fusées.
Kathryn Sullivan: De tels tests m'inquiètent. À l'avenir, l'espace sera encore plus disputé. La concurrence entre les grandes puissances est déjà bien engagée. De nombreux pays dépendent de la communication, ainsi que d'autres outils et de données provenant de l'espace. À terme, toute ces données feront inévitablement l'objet d'une guerre. L'utilisation de bombes et d'armes dans l'espace est également envisageable.
Aujourd'hui, les Russes avertissent que la Station spatiale internationale (ISS) pourrait s'écraser. Les sanctions occidentales seraient à l'origine de ce risque pour la sécurité. Qu'en est-il?
Ellen Ochoa: Les responsables de l'ISS ont affirmé que tout fonctionnait comme d'habitude. J'ai confiance en cela. Mais il y a des dangers. Au cas où Moscou se retirerait, nous devons être prêts. Actuellement, ce sont les Russes qui veillent à ce que la station spatiale dispose de suffisamment d'énergie. Les Occidentaux devraient pouvoir assumer de telles tâches en cas d'urgence.
Vous faites partie des pionnières de l'espace. Qu'admirez-vous le plus l'une chez l'autre?
Ellen Ochoa: Le courage dont tu as fait preuve pour devenir la première femme à franchir le pas. Lorsque Kathryn a été choisie par la Nasa en 1978, je venais de commencer mes études de physique. Voir les six premières femmes en combinaison d'astronaute - dont Kathryn - a été un moment très important et touchant. Cela m'a montré, ainsi qu'à toutes les autres femmes, que nous pouvions nous aussi exercer une profession aussi passionnante et importante dans le domaine de la physique.
Kathryn Sullivan: Wow. Je suis sans voix!
Ellen Ochoa: C'est vrai. Je vous ai suivies, toi et les autres, lorsque vous avez volé pour la première fois. Je sais par expérience à quel point il est important pour les femmes d'avoir des modèles.
Jusqu'à présent, seuls 11% des astronautes étaient des femmes. Que faut-il faire pour que davantage de femmes puissent accéder à ces métiers?
Kathryn Sullivan: Cela commence par l'éducation. Nous devons essayer de rendre les sujets scientifiques encore plus accessibles aux femmes. Le fait est que les études de mathématiques et de physique sont majoritairement suivies par des hommes.
Ellen Ochoa: C'est vrai. Mais il y a déjà des améliorations. Lorsque je travaillais à la Nasa, j'ai vu de plus en plus de femmes accéder à des postes de direction. Les choses bougent aussi dans les entreprises privées, comme SpaceX par exemple.
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Pour terminer, imaginez que vous puissiez repartir à deux pour une dernière mission dans l'espace. À quoi ressemblerait-elle?
Kathryn Sullivan: Pourquoi imaginer? Mon collègue John Glenn, aujourd'hui décédé, a pu repartir dans l'espace à 77 ans. On voulait étudier avec lui les effets de l'apesanteur sur les personnes âgées. Je m'adresse à la Nasa: vous avez maintenant des données sur un vieux schnock du nom de John Glenn, vous avez maintenant besoin de données sur une vieille comme moi! Je me propose sans soucis (rires). Et si la mission concernait la Lune, je n'y verrais pas d'inconvénient non plus. Tu veux venir avec nous?
Ellen Ochoa: Tu peux compter sur moi!
(Adaptation par Lliana Doudot)