Les démocraties à la dérive
Pourquoi la crise en Corée du Sud devrait nous faire peur

Comment la démocratie sud-coréenne a-t-elle pu être ébranlée? Selon l'expert Wolfgang Merkel, d'autres pays occidentalisés connaissent aussi des «pertes de démocratie évidentes». Et il y a de quoi s'inquiéter.
Publié: 04.12.2024 à 14:49 heures
Lorsque le président sud-coréen a déclaré la loi martiale, des soldats ont assuré la sécurité du Parlement.
Photo: keystone-sda.ch
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Guido Felder

La Corée du Sud a été secouée mardi par un séisme politique. Le pays est pourtant considéré comme l'une des démocraties les plus stables d'Asie. Il est classé 34e sur la matrice démocratique de l'université de Würzburg (Allemagne), juste derrière les Etats-Unis (31), mais devant des pays comme Israël (38), la Grèce (41) et la Bulgarie (47).

Le conflit entre le président Yoon Suk Yeol et le Parlement sur la proclamation de la loi martiale montre à quel point les démocraties sont fragiles. Cette crise est un avertissement pour les Etats dans lesquels la démocratie s'égare également de plus en plus. Et ce ne sont pas des pays éloignés.

Loi martiale proclamée

La crise en Corée du Sud a été déclenchée par la proclamation de la loi martiale par le président. Il a justifié cette décision par la menace que représentait la Corée du Nord et a accusé le Parti démocratique de Corée (PDC), un parti d'opposition, de soutenir des activités hostiles à l'Etat.

Il s'agissait pour lui de s'imposer dans le conflit budgétaire contre l'opposition, majoritaire au Parlement. La loi martiale lui aurait permis d'agir en grande partie de son propre chef. Si elle entrait en vigueur, les activités politiques seraient interdites, les médias sous censure et la sécurité sous contrôle de l'armée.

Mais cela n'a pas été le cas. Après une violente dispute au Parlement et le déploiement de soldats, Yoon Suk Yeol a dû céder et revenir sur sa décision. L'opposition réclame désormais sa démission.

Des démocraties sur la mauvaise pente

Ce qui s'est passé mardi à Séoul doit nous faire réfléchir. Une telle crise dans une démocratie qui fonctionne plutôt bien depuis 1990 montre à quel point ce système politique peut être fragile.

On peut établir un parallèle avec les États-Unis. Dans les deux pays, les fronts se sont durcis. Dans les deux pays, des politiciens de premier plan ont été blessés dans des attentats lors d'une campagne électorale agressive. En Corée du Sud, le politicien d'opposition du DPK Lee Jae Myung a été poignardé au cou le 2 janvier, aux Etats-Unis, le 13 juillet, Donald Trump a été blessé par balle à l'oreille.

Le chercheur allemand en démocratie Wolfgang Merkel apporte son œil d'expert dans un article du Centre fédéral d'éducation politique sur la division des Etats-Unis. «Lorsque les identités, qu'elles soient d'origine nationaliste, religieuse, sexuelle ou idéologique, prennent des formes intolérantes et ne développent aucun sens de ce qui est nécessairement communautaire, la démocratie politique perd sa base sociale. Elle se désagrège.»

Face à cette critique des Etats-Unis, il semble presque présomptueux que ce soit le ministre américain des Affaires étrangères Antony Blinken qui sermonne les Sud-Coréens. «Nous continuons à attendre que les divergences d'opinion politiques soient résolues de manière pacifique et en accord avec l'Etat de droit.»

Critique à l'égard d'Israël

La Corée du Sud et les Etats-Unis ne sont pas des cas isolés. Depuis la crise financière mondiale de 2008, les régimes politiques perdent chaque année en qualité démocratique, précise Wolfgang Merkel. «Des pertes démocratiques évidentes» se manifestent, selon l'expert, dans des pays comme la Turquie, la Pologne, la Hongrie, l'Italie, le Brésil et Israël.

Prenons l'exemple d'Israël. Dans une contribution du Centre fédéral pour l'éducation politique, l'expert Suzie Navot de l'Israel Democracy Institute parle certes d'un «esprit démocratique fort», mais d'une «structure démocratique fragile». Elle critique notamment la réforme de la justice, qui affaiblit considérablement l'autorité de la Cour suprême et a provoqué de graves protestations.

«Déclin de la démocratie» en Hongrie

La Hongrie est un exemple d'un pays de l'Union européenne qui évolue en marge de la démocratie. L'UE l'a déjà averti et mis à l'amende à plusieurs reprises en raison de violations du droit d'asile européen, de la liberté d'expression et de la manipulation présumée du système électoral. Le Parlement européen regrette que «l'absence de mesures décisives de la part de l'UE ait contribué à l'effondrement de la démocratie, de l'Etat de droit et des droits fondamentaux en Hongrie».

Wolfgang Merkel arrive à une conclusion décevante. «Les meilleurs temps de la démocratie, même sous sa forme développée d'Etat de droit, semblent être révolus.»

Mais l'espoir demeure. Car la réaction du Parlement sud-coréen, qui a immédiatement et unanimement annulé la déclaration de la loi martiale, montre aussi qu'une démocratie est capable de se régénérer elle-même.

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