Les élections en Russie ont un seul intérêt: que le président sortant Vladimir Poutine soit réélu avec un grand pourcentage de voix. Il est exclu qu'un autre candidat gagne lors de «ces élections fictives» qui se déroulent depuis vendredi, avant de se conclure ce dimanche.
L'auteur russe Vladimir Kaminer, qui vit à Berlin, s'intéresse de près à son ancienne patrie, qu'il a fui peu avant l'effondrement de l'Union soviétique. Il se souvient notamment d'une punition infligée en tant que soldat pour ne pas avoir arrêté le pilote amateur allemand Mathias Rust lors de son atterrissage sur la Place Rouge. Interview.
Vladimir Kaminer, vous faisiez votre service militaire dans la défense antimissile soviétique lorsqu'en 1987, le pilote amateur allemand Mathias Rust a réussi à se poser sur la place Rouge à bord d'un Cessna. Comment avez-vous pu le rater?
Nous étions un centre de défense antimissile pour les engins volant à basse altitude dans la deuxième ceinture de défense. Notre mission consistait à intercepter les gros bombardiers américains comme les B-1B et les B52, et non pas les petits Cessna qui abondaient autour de Moscou et que chaque président de kolkhoze utilisait pour rendre visite à sa tante dans le village voisin.
Avez-vous été punis?
Nous avons été complètement mis en pièces. Et ensuite, on nous a mis dans des bus et on a fait le tour de Moscou jusqu'à ce que nous arrivions à nouveau à notre centrale et que nous puissions continuer à travailler. Il n'y avait pas d'autres soldats avec cette formation spéciale à l'époque.
En 1991, la chute de l'Union soviétique a apporté un nouvel espoir aux Russes. Pourquoi avez-vous tout de même fui en RDA (ndlr: République démocratique allemande)?
Nous avions grandi dans un État totalitaire, une dictature qui voulait constamment nous imposer ce que nous devions lire et ce que nous devions faire. Pour ma génération, la question de savoir si l'on voulait rester ou partir ne se posait même pas. C'est comme si j'étais en prison. On devait simplement saisir toutes les possibilités pour sortir.
Pourquoi en RDA?
Nous pensions automatiquement que partout où il n'y avait pas l'Union soviétique, la vie devait être un paradis.
Quelques années plus tard, Poutine est arrivé au pouvoir. Beaucoup ont eu l'espoir que la vie allait changer...
L'espoir est un bon sentiment, mais il ne peut pas remplacer une démocratie qui fonctionne. Sous Poutine, la population russe n'a aucun instrument politique pour influencer les dirigeants. Il faut imaginer la Russie divisée en deux mondes: 140 millions de personnes vivent sur terre, tandis que quelques milliers de personnes prêtes à tout et armées jusqu'au cou se barricadent là-haut dans la petite tour du Kremlin.
Que pensez-vous de Vladimir Poutine?
Poutine a suivi le même schéma que tous les dirigeants autoritaires qui vivent depuis trop longtemps isolés du monde extérieur. Seuls quelques amis lui ont rendu visite dans son bunker, et lui ont sans doute donné les mauvais livres dans les mains.
De quels livres parlez-vous?
Il existe en Russie ces romans qui proposent une histoire alternative. Comme celui d'un agent soviétique du KGB qui remonte le temps et atterrit chez le tsar. Poutine s'est identifié à cette pacotille et a eu l'idée de changer l'ordre du monde. Je pense aussi que la période Covid y a contribué.
Comment jugez-vous sa situation?
Poutine est dans une situation assez toxique: un trou derrière, un mur devant.
L'avez-vous déjà rencontré?
Oui, bien sûr. Nous étions en Allemagne avec le président fédéral. Il n'a pas toujours été un ennemi de l'Occident, il aimait venir en visite d'État. Nous nous sommes même serrés la main.
Pensez-vous qu'il a aussi des bons côtés?
Je pense qu'en privé, il est probablement très bien. Mais je ne voudrais pas l'avoir comme ami. Je n'aime pas cette génération de préretraités soviétiques en place à la sécurité d'État. En Russie, on les appelle 'les retraités de garage'. Ce sont des gens qui sont encore en forme, mais qui ne doivent plus travailler. Ils sont donc assis derrière le garage avec une bière en pestant que l'Amérique est folle.
Comment les Russes perçoivent-ils Poutine?
Ils n'aiment pas la guerre. Ils saisissent toutes les occasions d'exprimer leur mécontentement, si cela peut se faire sans danger.
Après les élections de 2011, des centaines de milliers de personnes ont manifesté contre le gouvernement. Pourquoi pas aujourd'hui?
A l'époque, le régime n'était pas encore aussi radical. Il se contentait de frapper les manifestants avec des matraques en caoutchouc. Aujourd'hui, ils sont tués. Même s'ils ne parlent que de paix, c'est un outrage aux forces armées russes, pour lequel ils risquent jusqu'à 15 ans de prison.
Vous engagez-vous dans l'opposition?
J'ai essayé de trouver ici, en Allemagne, une nouvelle base de vie pour les nombreux journalistes d'opposition. Grâce à eux, les Russes de l'étranger sont mieux informés sur leur propre pays que par les médias de propagande gouvernementaux. J'ai également contribué à la création de plusieurs médias.
Y a-t-il quelque chose qui vous donne de l'espoir?
Il y a en Russie beaucoup de gens qui font partie du gouvernement et qui ne sont pas d'accord avec cette politique. Il faut pour eux une stratégie de sortie. La prise de conscience gagne du terrain en Europe: il faut maintenant trouver des alliés en Russie. Cette guerre ne peut être menée à terme qu'au Kremlin et non sur le champ de bataille en Ukraine. Nous verrons bientôt des changements.
Combien de temps pensez-vous que la guerre va encore durer?
Elle ne peut plus durer longtemps, car les hommes manquent tout simplement des deux côtés. Aucun pays ne peut produire autant de héros, et surtout pas la Russie.
Si vous voyiez Poutine, que lui diriez-vous?
Sois un homme et arrête. Aie le courage de reconnaître tes erreurs. Tout le monde fait des erreurs.