La Russie peut-elle perdre?
Les 7 questions chaudes autour du conflit en Ukraine

Le conflit en Ukraine semble avoir pris une nouvelle tournure ces derniers jours, à la faveur d'une contre-offensive des troupes de Kiev. Vit-on réellement un tournant dans la guerre? Blick a interrogé plusieurs experts. Réponse en sept points.
Publié: 12.09.2022 à 18:36 heures
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Dernière mise à jour: 12.09.2022 à 18:38 heures
Après bientôt huit mois de conflit en Ukraine, les soldats de Kiev ont enregistré leurs plus belles victoires ces derniers jours. Un tournant?
Photo: DUKAS
Guido Felder

Avec une contre-offensive surprise, les Ukrainiens ont pris de court les Russes à l'Est. Alors que les villages sont repris par dizaines par les forces de Kiev et que l'armée russe décampe, le Kremlin semble tout à coup prêt à négocier.

Est-ce une réelle intention? La paix est-elle proche ou Vladimir Poutine et ses hommes reculent-ils pour mieux retourner au combat? L'homme fort du Kremlin doit-il craindre pour son poste face à la fronde interne?

Alors que le conflit semble vivre un tournant depuis quelques jours, Blick répond aux questions les plus chaudes sur la situation en Ukraine grâce aux lumières des meilleurs experts du pays.

1) L'Ukraine est-elle vraiment en train de gagner la guerre?

Ce n'est pas à exclure, selon Mauro Mantovani. L'expert en stratégie à l'Académie militaire de l'EPFZ explique à Blick: «Grâce à leurs succès des derniers jours, les Ukrainiens se sont rapprochés de leur objectif ultime, qui est de chasser totalement les Russes de leur pays. Mais le chemin pour y parvenir totalement sera encore long, et il y a un risque d'escalade de la violence.»

Le spécialiste donne, s'il devait se prononcer aujourd'hui, de bonnes chances de pouvoir reconquérir tous les territoires perdus à long terme. C'est aussi le pronostic de Benno Zogg, expert en sécurité de l'EPFZ. Le chercheur part du principe que l'Ukraine va conserver à long terme tous les territoires qu'elle récupère ces jours, et qu'il y en aura d'autres. «Mais je prédis encore plusieurs mois de lutte acharnée», précise-t-il.

L'optimisme est aussi à trouver à la source, chez les Ukrainiens. Un vent d'euphorie souffle sur le pays. «Dans les prochaines semaines, nous allons avancer rapidement dans la région de Lougansk, explique à Blick Sergeï Gayday, gouverneur de la région et politologue. Comme nos villes ont été presque entièrement détruites par les Russes, ils n'ont que peu de moyen de se cacher.»

2) Pourquoi l'Ukraine a-t-elle été si victorieuse à l'Est?

L'effet de surprise a été total. Ces derniers jours, il semblait que les Ukrainiens se focalisaient sur Kherson et qu'ils s'enlisaient au sud, avec une contre-offensive sans réelle avancée. Et puis, soudain, ils ont frappé par surprise et rapidement à l'est.

«La percée a eu lieu dans un secteur du front qui n'était que faiblement occupé par des unités de la milice de Lougansk et des réservistes russes», décrypte Mauro Montovani. Une faiblesse d'autant plus exploitable que le soutien aérien ddes forces d'occupation n'était pas au rendez-vous.

«Le fait que cette simple manœuvre de diversion ait réussi prouve une fois de plus les carences des services de renseignement russes», explique le chercheur. En ce sens, ils sont bien plus friables que l'Ukraine, soutenue par les services occidentaux de renseignement.

Le retrait complètement désordonné de l'armée de Moscou, qui a laissé derrière elle une quantité astronomique de matériel de guerre et de munitions, témoigne du «moral de désolation» qui règne au sein des forces russes. «Ce blues, si ce n'est pas déjà le cas, va se répandre au sein de toutes les troupes de l'occupant», prédit Mauro Mantovani.

3) A quel point l'armée russe est-elle affaiblie?

L'armée russe n'a presque plus de réserves, affirme Mauro Mantovani. Il en veut pour preuve l'exercice Vostok réalisé la semaine dernière dans l'est de la Russie. Au lieu des 300'000 hommes qui y participent normalement, il n'y en avait que 15'000: «Les difficultés sont multiples pour Vladimir Poutine: vu l'état du conflit, il est dur de conserver les soldats contractuels et encore plus d'en convaincre d'autres. Sans compter qu'il faut encore former ces recrues...»

Pour l'expert de l'EFPZ, Moscou va devoir revoir ses ambitions à la baisse. Les Russes pourraient ainsi au mieux tenir un certain temps les territoires encore occupés en Ukraine tout en causant des dégâts avec des missiles ou les forces aériennes. Mais conquérir de nouveaux territoires semble être un objectif hors de portée.

4) Comment Poutine réagit-il aux critiques à son encontre?

C'est un signe fort: ce week-end, le fidèle «chien fou» de Vladimir Poutine, le président tchétchène, Ramzan Kadyrov, a presque fait défection. Dans un message audio sur Telegram, il a évoqué une «situation inconcevable», affirmant ne rien comprendre à la stratégie russe.

L'allié de Moscou a demandé un changement de cap, sinon il prendrait lui-même les choses en main pour aller reconquérir les villes reprises par Kiev. Des critiques qui trouveraient un écho toujours plus grand chez des hauts fonctionnaires russes.

De telles affirmations publiques sont dangereuses pour Vladimir Poutine, qui voit son image de «chef de guerre de génie» sérieusement écornée. Mauro Mantovani s'attend à d'autres licenciements de chefs militaires et d'agents de renseignement.

5) Peut-il y avoir un cessez-le-feu et des négociations?

Ce dimanche, la Russie a semblé changer de cap. Le ministre des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov, a entrouvert la porte à des négociations. Une perspective balayée immédiatement par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. «Il est dans mes principes de ne pas discuter avec des gens qui émettent des ultimatums», a-t-il expliqué à CNN.

Le gouvernement russe ne montrerait aucune volonté de trouver une solution constructive, assure-t-il. Pour Benno Zogg, la perspective d'un accord est encore très douteuse. «Il faut se méfier de toutes les offres de Moscou. Il n'y a ni volonté de faire des compromis, ni suffisamment de pression militaire sur la Russie pour que Vladimir Poutine adapte ses objectifs de guerre et perçoive tout à coup l'Ukraine comme un partenaire égal de négociation et un pays ayant une autonomie légitime», prévient l'expert.

Un accord ne serait pas non plus intéressant pour Kiev en ce moment, estime-t-il encore. «L'armée ukrainienne a le momentum avec elle et les succès récents vont booster le moral de son armée, de la population ainsi que des partenaires étrangers.» Volodymyr Zelensky n'est pas naïf, ajoute-t-il: le président sait très bien que ces offres de négociations ne servent qu'à gagner du temps pendant que l'armée russe se regroupe et reconstitue ses lignes logistiques: «Il ne faut surtout pas donner du répit à Moscou.»

6) Comment la Russie peut-elle réagir?

En parallèle de l'avancée des soldats ukrainiens, des coupures de courant massives ont eu lieu dans l'Est du pays. Des millions de civils se sont retrouvés dans le froid et dans le noir. Faut-il y voir une vengeance de Vladimir Poutine? Le gouverneur de la région de Dnipro accuse en tout cas les forces armées russes de s'en être pris aux infrastructures énergétiques. «L'armée russe veut se venger de sa défaite sur le champ de bataille», a-t-il écrit sur Telegram.

Le politicien qualifie les Russes de «terroristes» qui ne visaient pas d'objectifs militaires mais voulaient simplement laisser les habitants de l'Ukraine sans électricité ni chauffage. Un scénario crédible aux yeux de Mauro Mantovani: «Malheureusement, les Russes maîtrisent très bien les attaques de représailles contre la population civile.»

7) Vladimir Poutine peut-il brandir la menace nucléaire?

Beaucoup d'observateurs se réjouissent des résultats de l'armée ukrainienne, tout en s'inquiétant de la réaction d'un Vladimir Poutine toujours plus acculé. «Pour l'instant, la Russie ne devrait pas réorienter sa stratégie, pense Benno Zogg. Notamment pour ne pas montrer de signes ostentatoires de faiblesse.»

L'expert de l'EPFZ n'imagine pas que le président russe puisse utiliser l'arme nucléaire. «L'avancée des Ukrainiens ne menace pas l'existence de la Russie. L'usage du nucléaire serait disproportionné et n'aiderait en rien Moscou à atteindre ses objectifs», affirme-t-il.

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