Le Ministère de la défense ukrainien ne le reconnaîtra jamais, mais le succès de la contre-offensive menée par les troupes de Kiev dans la région de Kharkiv doit beaucoup à l’aide des forces spéciales de l’OTAN. «Il ne faut pas croire que les Occidentaux se contentent de livrer des armes lourdes à l’Ukraine. Il y a maintenant, sur place, une extraordinaire concentration de moyens en matière de renseignement et de ciblage. Toutes les faiblesses de l’armée russes ont été passées au crible: problèmes de commandement, communications défaillantes, difficultés logistiques. Derrière les avancées ukrainiennes dans la région de Kharkiv se cache une opération clandestine de grande envergure des alliés.»
Loin de ses bases, l’armée russe est faible
Cette affirmation ne vient pas d’un expert militaire éloigné du théâtre d’opérations ukrainien. L’officier supérieur français à la retraite qui a accepté de nous parler revient d’un séjour de deux semaines à Kiev. Sa première impression? On est en train d’assister, du côté de Kharkiv, à la répétition de ce qui s’est passé autour de la capitale au début avril, lorsque les Russes ont retiré leurs troupes qui tentaient de l’encercler. L’armée russe n’a, au sol, pas les moyens de tenir si elle est trop éloignée de ses bases, de l’autre côté de la frontière. Pour une raison simple: faute de maîtrise totale du ciel, elle ne peut pas faire taire l’artillerie ukrainienne. Les combattants qui reviennent de Kharkiv sont frappés de voir très peu d’hélicoptères russes voler. Ils sont cloués à terre.
Pas de maîtrise du ciel
Plusieurs sites spécialisés américains, comme celui de l’Institute for the Study of War (Institut d’études de la guerre), ont retracé cette perte de suprématie aérienne. Le 6 septembre, dès le lancement de la contre-offensive, un avion d’attaque Su-25 a été abattu par un missile sol-air ukrainien. Peu après, un hélicoptère d’appui tactique Mi-24 a subi le même sort. Le lendemain, un autre Su-25 est touché, et son pilote secouru par des hélicoptères. Ce samedi, la victime des missiles sol-air ukrainiens est un Sukhoi 34, l’équivalent du Tornado ou du F-15. Toujours selon ce site bien informé, la 80e brigade aéroportée ukrainienne aurait, à la mi-août, abattu trois hélicoptères d’attaque Kamov à double rotor. Résultat: impossible pour les unités russes les plus avancées et les plus exposées à la contre-attaque de disposer du soutien adéquat.
Un commandement contesté
L’autre explication apportée à la rapidité du retrait russe – présenté comme tactique par Moscou – est celle d’une défaillance de commandement. Le 20 juillet, une étude publiée par la revue «Foreign Policy» avait mis en exergue des défaillances structurelles au sein de l’État-major de Vladimir Poutine. Lequel n’a même pas salué ses généraux devant les caméras lorsqu’il s’est rendu à Vladivostok pour observer les exercices «Vostok 2022» qui combinaient des forces russes et étrangères (environ 2000 soldats sur 50'000).
«L’actuel ministre de la Défense, Sergueï Shoigu, a tenté de trouver un équilibre entre le copinage, la corruption et la nécessité de réformes, argumente la revue «Foreign Policy». Il s’est employé à supprimer fébrilement les critiques et évaluations indépendantes des opérations militaires, et il a inculqué la notion de Poutine de contrôle des officiers militaires au plus haut niveau.» Résultat selon la revue américaine: «La modernisation matérielle des forces armées russes n’a pas eu de conséquences sur le plan opérationnel. Sous Poutine, la politisation des objectifs militaires a conduit à la prolifération d’informations biaisées qui surestiment généralement le statut des forces armées.»
Regroupement russe près de la frontière
Si l’on prend le temps de regarder précisément une carte de la région ciblée par la contre-offensive ukrainienne, tout cela devient réalité. La localité stratégique d’Izum apparemment reprise ce week-end par les troupes de Kiev est à mi-chemin entre Kharkiv et Lougansk, l’une des villes clé des territoires sécessionnistes russophones. Elle est à 50 kilomètres environ de la frontière russe. En se repliant sur Lougansk et Donetsk, l’armée de Poutine réduit donc drastiquement ses lignes de communication. Ce qui permet aux officiers supérieurs de reprendre le contrôle.
«Des commandants de bataillons de fusiliers et de divisions de chars au chef des unités de guerre électronique, les dirigeants russes ont perdu toute une série de leaders de haut niveau en Ukraine poursuivait récemment un rapport du Center for Strategic and International Studies. Le commandement militaire russe s’est montré peu enclin à déléguer son autorité à des officiers subalternes». Or vu qu’une dizaine de généraux russes ont perdu la vie depuis le début du conflit, ces derniers préfèrent opérer au plus près de la frontière et de leurs bases arrières.
Retrouvez ici la carte de la contre-offensive:
Les questions sur la suite de la contre-offensive
Reste deux questions posées sur cette contre-offensive. Peut-elle vraiment permettre à l’Ukraine de reconquérir de façon durable des milliers de kilomètres carrés? Et peut-elle accroître la démoralisation de l’armée russe, donc conduire à une possible déroute?
Dans les deux cas, la réponse est très incertaine. Sur la reconquête durable, tout va dépendre de la riposte de Moscou. Si la Russie choisit de pilonner inlassablement les régions reprises, l’Ukraine risque de s’épuiser à les tenir, et à devoir y masser des troupes qui manqueront ailleurs, par exemple du côté de la mer noire et d’Odessa. Sur le moral des soldats russes, décrit comme terriblement bas par l’ex parachutiste déserteur Pavel Filatiev arrivé en août en France, tout va dépendre de la rotation des unités envoyées en Ukraine, des soldes payées… et de la propagande ukrainienne. Selon nos informations, une unité spéciale de communication sur les réseaux sociaux, pilotée avec l’aide de l’OTAN depuis le centre de cyberguerre de Tallinn, en Estonie, est à l’œuvre pour tailler en pièces les accusations russes. «La guerre psychologique bat son plein» confirme notre source militaire française.
Un calendrier défavorable à Poutine
Le calendrier international n’est en tout cas pas favorable à Vladimir Poutine. L’Union européenne, étranglée par l’interruption des livraisons de gaz russe, n’a pas d’autre choix que d’aider le plus possible l’Ukraine et le discours de la présidente de la Commission européenne ce mercredi 14 septembre à Strasbourg s’annonce très dur envers Moscou.
Aux État-Unis, Joe Biden joue son va-tout avant les élections de mid-term, le 8 novembre, soit une semaine avant le sommet du G20 de Bali (Indonésie) où se rendra le président russe. Celui-ci se retrouve en fait confronté à sa propre surenchère: plus il menace, à coups de fermeture de robinet gazier et de référence à l’arme nucléaire, plus les alliés de l’Ukraine cherchent militairement à lui infliger une défaite sur le terrain, pour le contraindre à négocier avant que l’hiver et le rationnement énergétique n’alimentent la colère des populations européennes. Avec, bien sûr, le risque que le conflit s’embrase encore plus.