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Après la prise de pouvoir des talibans il y a une semaine, rien n'est plus comme avant dans la capitale afghane, Kaboul. C'est le chaos, des milliers de personnes tentent de fuir. Les femmes en particulier craignent pour leur liberté, leurs droits — et leur vie. Parmi elles, Fariba*. La jeune femme de 29 ans vit à Kaboul avec ses sœurs et ses parents et travaille comme infirmière dans un hôpital. Pour Blick, elle partage les états d'âme de son journal et explique quel est son quotidien.
Mardi, 17 août
Le sentiment que j'éprouve, comme des milliers de femmes et de jeunes filles dans le pays, est indescriptible. Pour comprendre cette douleur, vous devriez être ici. J'aime mon pays. La vie ici est belle. J'adore travailler avec les enfants de l'hôpital. Mais maintenant, avec l'arrivée du nouveau régime — les talibans —, je pense avoir perdu tous mes rêves. Quand je les vois avec leurs armes en main, tout mon corps tremble de stress. Je continuerai à me battre pour mes patients. Je me demande si je dois aller travailler ou rester à la maison. Non: j'ai fait le serment de toujours être là pour mes patients. Rester à la maison signifierait que je suis une lâche. Comme les jours précédents, je décide donc d'aller travailler. Alors que j'approche de l'université de Kaboul, les anciens vigiles ne sont plus là. A leur place se trouvent maintenant des soldats talibans. Il n'y a plus de retour en arrière possible. Mon corps tout entier tremble à nouveau. J'ai peur des talibans. Et des milliers de questions dans ma tête. Que va-t-il se passer maintenant? Quelles règles veulent-ils faire appliquer? Des rumeurs circulent selon lesquelles les talibans fouillent chaque maison pour forcer les filles et les jeunes femmes à épouser leurs guerriers. Je suis également préoccupée par la règle selon laquelle les femmes ne sont pas autorisées à quitter la maison sans une escorte masculine. Comment irons-nous faire du shopping ou nous montrer normalement en public à partir de maintenant ? Mon père peut difficilement nous emmener toutes à l'université et au travail en même temps.
Mercredi, 18 août
Aujourd'hui au réveil, j'ai continué à ressentir de la crainte, une sensation d'estomac serré et je me sens agitée. Rien n'est plus comme avant. Personne ne porte plus ses vêtements de travail normaux. Ni les gardes, ni les médecins, ni moi, ni mes collègues de l'équipe. Ils doivent tous mettre le costume afghan maintenant. Les talibans n'acceptent que celui-ci. Quand je suis arrivé au travail, on m'a dit qu'ils avaient forcé nos gardes à rendre leurs armes. Et que tous nos employés ayant une double nationalité ont quitté le pays. Seuls moi et un coéquipier sommes venus travailler. Tous les autres ont peur des talibans et sont restés chez eux. Il y a un silence inhabituel dans l'hôpital. Néanmoins, j'essaie d'être forte et de poursuivre mon travail. Mais la peur ne me laisse pas en paix une minute. Ma mère m'appelle plusieurs fois. Je lui dis de ne pas s'inquiéter. Des talibans se trouvaient apparemment dans notre hôpital aujourd'hui — heureusement, je ne les ai pas rencontrés. La journée de travail s'est terminée avec beaucoup d'agitation et de crainte. Ces sentiments ne cessent pas même quand je suis à la maison. Voyons ce qui se passe demain.
Jeudi, 19 août
Je dois quitter le pays. Je n'ai plus d'avenir ici. Je me rends à l'ambassade de France pour demander l'asile. À ma grande déception, une grande foule s'y est rassemblée et on ne nous donne aucune information. Les talibans sont présents devant l'ambassade et tirent en l'air. Ils ont fouetté un homme. Mes espoirs de quitter le pays sont anéantis. À ce moment-là, je veux seulement sauver ma vie. Je rentre chez moi en courant, les larmes aux yeux. J'y suis encore en sécurité pour le moment. Mais pour combien de temps encore?
Vendredi, 20 août
Aujourd'hui, l'atmosphère de travail dans l'hôpital est très déprimée. Toute l'équipe cherche des moyens de quitter le pays. Tout le monde est désespéré, avec une seule chose en tête à ce moment-là: comment s'échapper? Beaucoup sont déjà partis. Nous avons peu de patients. Tout le monde pense que notre hôpital va fermer.
Samedi 21 août
Depuis une semaine maintenant, nous ne pouvons pas dormir correctement la nuit et faisons des cauchemars. Les discussions sur les rumeurs de la fermeture prochaine de notre hôpital me font mal. Nos vies sont d'ailleurs menacées parce que nous y travaillons. J'essaie de contrôler mon angoisse et de continuer à travailler. Après avoir traité quelques patients, je rencontre une femme. Elle a été battue par les talibans et son oreille saigne beaucoup. Elle ne me dit pas un mot, elle pleure sans interruption. Son impuissance me touche. Elle perd son oreille, je ne peux pas la sauver. Oh Allah, comment puis-je soigner mes patientes sous une telle pression psychologique?
*prénom d'emprunt