Une poignée de main est-elle une déclaration de guerre politique? Viktor Orbán va devoir répondre à cette question au sommet européen de Bruxelles, où il est arrivé ce jeudi 26 octobre. L’image, en effet, a fait le tour des capitales. Il y a pile une semaine, mardi 17 octobre, le premier ministre hongrois était en Chine, invité pour le sommet «Ceinture et route», le grand projet d’assistance et d’infrastructures financé par Pékin. Et là, l’homme fort de Budapest y a rencontré celui que l’Union européenne considère aujourd’hui comme son ennemi numéro un: Vladimir Poutine.
Une accolade interprétée à Paris, Berlin ou Bruxelles, comme un véritable bras d’honneur diplomatique à l’Union européenne. Laquelle a, depuis le début de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, mis en œuvre dix paquets de sanctions économiques et financières contre la Russie.
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Réélu en 2022
Viktor Orbán n'en est pas moins arrivé tout sourire dans la capitale belge. Logique. A 60 ans, réélu avec une large majorité en avril 2022, le Premier ministre hongrois est cohérent. Il a, dès le début du conflit, fait savoir qu’il ne souhaitait pas rompre avec la Russie, à laquelle son pays continue d’acheter du gaz. Il a aussi, très vite, refusé de livrer du matériel militaire hongrois à l’Ukraine, et mis son veto au dernier déboursement de la facilité européenne pour la paix. Laquelle permet aux pays membres de se faire rembourser par Bruxelles leurs livraisons d’armes à Kiev.
Bras d’honneur? Oui et non. Oui, car serrer la main de Vladimir Poutine en Chine revient à traiter en partenaire honorable un dirigeant inculpé depuis le 17 mars par la Cour pénale internationale pour «déportation illégale d’enfants ukrainiens». Non, car la realpolitik existe. «Orban est le seul, au sein de l’Union européenne, à maintenir un canal de discussion personnel avec Poutine», juge un observateur à Bruxelles. Cela vaut quelque chose.
Si le but ultime est un accord de paix, alors il faudra bien reparler avec Moscou. Sa faute est d’agir sans en informer ses partenaires. Mais il ne met pas pour autant l’Europe en danger».
Deux objectifs principaux
Le leader national populiste a, selon ceux qui le connaissent, deux objectifs principaux.
Le premier est de tenir tête à la Commission européenne, à l’origine du blocage des fonds européens pour la Hongrie. Treize milliards d’euros doivent être versés à ce pays entré dans l’UE en 2004. Mais cette somme est gelée depuis la fin 2022 en raison des atteintes à l’État de droit dans ce pays où le parti d’Orban, le Fidesz, tient tous les leviers. Deuxième objectif: obliger l’Union européenne à se préoccuper du sort de la minorité hongroise en Ukraine.
Le jeu politique est habile: Orban, dont le pays est membre de l’OTAN, l’alliance atlantique dominée par les États-Unis, choisit ses combats. Il n’a pas bloqué les sanctions contre la Russie, même s’il a tergiversé. Il estime en revanche que son pays doit d’abord être aidé et protégé. Et que cette protection passe par une relation apaisée avec Moscou et un refus catégorique de souscrire aux projets communautaires sur l’accueil des immigrés non ukrainiens – ainsi que leur répartition au sein des 27. «C’est un nationaliste européen sans scrupules, doublé d’un redoutable négociateur juge, au téléphone, un éditorialiste du quotidien de gauche «Nepszava»: «Sa poignée de mains avec Poutine est une manière de faire monter les enchères.»
Robert Fico, le nouvel allié
Est-il un cheval de Troie de la Russie? L’inquiétude portait plutôt, ces derniers mois, sur la force de blocage conjointe de la Hongrie et de la Pologne, où le gouvernement national populiste du PIS résistait aussi à Bruxelles, tout en étant très anti-Russe. Or les Polonais ont voté en majorité pour une coalition proeuropéenne le 17 octobre.
Mais un deuxième allié d’Orban est apparu: le nouveau premier ministre slovaque Robert Fico, vainqueur dans les urnes le 30 septembre et lui aussi hostile à une aide militaire de son pays à l’Ukraine. Viktor Orbán pense donc qu’il peut attendre les élections européennes de juin 2024, où les formations souverainistes, voire europhobes, pourraient obtenir de beaux scores. Arc-bouté sur son droit de veto, refusant d’appliquer la future législation européenne sur l’immigration qui a été adoptée à la majorité qualifiée, l’ancien activiste pro-occidental des années 90 joue la montre.
Comme un certain… Vladimir Poutine.