Ils ne le supportent plus. Et c’est avec des larmes aux yeux qu’ils accueilleront, cette nuit, un éventuel retour de leur voisin Donald Trump à la Maison-Blanche. Eux? Mary, David, Joanne… Tous ces résidents de West Palm Beach, où l’ancien président a réquisitionné, comme QG électoral, le Palais des Congrès local.
Donald Trump est, pour les médias du monde entier, le roi de cette ville balnéaire de Floride, à une heure de voiture au nord de Miami. C’est là que se trouve, sur une presqu’île squattée par des villas opulentes, son golf luxueux de Mar-a-Lago. Mais le roi Trump est aussi contesté. Mieux: il y a, à Mar-a-Lago, des rebelles qui ne peuvent plus le voir et redoutent de revivre à nouveau la paranoïa sécuritaire d’un second mandat présidentiel. Ces rebelles, je les ai rencontrés.
Aimant pour grosses fortunes
West Palm Beach est presque un résumé des États-Unis de 2024. Une cité tranquille, en bord de mer, transformée en aimant pour grosses fortunes après la pandémie de Covid 19. Au centre-ville, là où se trouve le Palais des Congrès que des équipes de sécurité ont passé la nuit à entourer de grilles et de barrages routiers, des immeubles de bureaux et des condominiums flambant neufs disent ce boom, auquel la réputation de Trump a aussi contribué. Même la banque suisse UBS y a ouvert une succursale. West Palm Beach est un nouvel eldorado. Mais dans les faits, beaucoup redoutent ici d’en payer le prix fort.
Le paradoxe est que le West Palm Beach d’hier, celui des faubourgs remplis de petites maisons coquettes, avec un jardinet au fil de rues bien entretenues, ressemble à s’y méprendre à Berkeley, la ville universitaire californienne où a grandi celle que Trump a juré de battre ce 5 novembre: Kamala Harris. Etonnant! Lorsqu’il acquiert le complexe de Mar-a-Lago dans les années 80, le magnat de l’immobilier New Yorkais atterrit dans un bastion bobo, quasi hippie. Joanne est une ancienne enseignante. Elle promène son chien le long du bras de mer qui sépare le continent du golf de Trump, sur South Flagler Drive.
Joanne a déjà voté pour Kamala Harris. Elle me montre, planté dans son jardinet, le panneau «Harris-Walz» et une autre affichette en faveur de l’amendement 4 soumis ce mardi au vote en Floride. Il s’agit de lever les restrictions à l’avortement imposé par le gouverneur républicain réactionnaire Ron de Santis, l’homme qui rêvait de succéder à Trump. Sans succès: «On est tous pris dans une machine à essorer ultra-conservatrice. J’ai connu une Floride ouverte, presque californienne s’énerve Joanne. Aujourd’hui, tous les copains de Trump ont débarqué».
La police, omniprésente
Mar-a-Lago semble nous narguer. De l’autre côté du pont qui s’ouvre pour laisser passer les bateaux de l’Intercoastal Waterways, le couloir maritime apprécié des plaisanciers, le golf de Donald Trump est une forteresse. Des plots en ciment barrent tous les accès. Plusieurs rues ont été bouclées. Les résidents doivent faire des kilomètres de détour. Toute la nuit, les lumières bleutées des voitures de police éclairent la jetée. David est, lui, un ex-financier de Wall Street. Il a cru en Trump autrefois. Plus maintenant: «Trump vend de l’illusion à haute dose. Et de la peur. On le voit bien ici. Beaucoup de mes voisins ont juste peur de dire qu’ils ne votent pas pour lui. Ses partisans patrouillent. Le trumpisme est une chape de plomb sur les cerveaux».
West Palm Beach vs Howard
West Palm Beach sera, cette nuit, l’un des lieux clés des États-Unis. L’un de ses deux poumons politiques et électoraux. Kamala Harris sera à Washington, sur le campus de son ancienne université d’Howard, la plus célèbre institution d’enseignement supérieur afro-américaine du pays. Un symbole. Donald Trump a préféré demeurer en Floride. Reclus dans son golf où il a passé une bonne partie de son temps lorsqu’il présidait le pays, entre 2016 et 2020. Une rue piétonne sympathique, entourée d’enseignes rituelles d’ameublement (chic), de vêtements et de quelques cafés. Une voie ferrée, celle de la Bright Line, qui relie Miami à Orlando. Une université privée, la West Palm Beach Atlantic University. «Bizarrement, cette ville ne ressemble pas à Trump confesse un adjoint du Sheriff Ric Bradshaw, en charge de la police dans le Comté de Palm Beach. Ici, d’ordinaire, les gens sont cools. L’affrontement, ce n’est pas leur truc».
Ironie électorale, le Sheriff Ric Bradshaw a son nom sur le même bulletin de vote que le propriétaire de Mar-a-Lago. Il fait partie des officiels locaux dont les postes sont soumis au vote ce 5 novembre, tout comme le président des États-Unis. Bradshaw refuse donc de dire s’il est républicain ou démocrate. Ses troupes ont, pendant la nuit, supprimé tous les panneaux «Trump-Vance 2024» et «Make America Great Again» que les partisans de l’ancien président avaient semé sur les pelouses, face au centre des Congrès.
Envoyés spéciaux
Plus près de la mer, face au golf de Donald Trump, les envoyés spéciaux des télévisions du monde entier se succèdent. Ils s’agglutinent sur le petit parking, au milieu du pont qui relie le continent à la presqu’île. Le vent souffle. L’humidité tropicale de la Floride favorise les présentateurs en bras de chemises, et les présentatrices en tailleurs légers. Un couple de retraités, sortis de leurs maisons pour voir le spectacle à la jumelle, s’interroge sur ce qui va se passer mercredi, puis les jours suivants.
Guerre civile, le terme qui fait peur
«On entend parler de guerre civile possible dans les médias. Vous croyez que cela n’a pas de quoi nous faire peur, à nous aussi?». Un convoi de trois voitures pro-Trump passe devant nous. Les drapeaux MAGA (Make America Great Again) sont sortis. A leur trousse, une voiture de police les rattrape et leur demande de se garer à l’extérieur de la ville. Pour le moment, alors que le vote a démarré dès huit heures du matin, West Palm Beach n’entend pas apparaître comme la capitale de la reconquête trumpiste.