Elle fait partie de ces femmes qui soignent l’Amérique. Et qui se battent de toutes leurs forces, dans leur communauté, pour éviter un retour au pouvoir de Donald Trump. Lisa Freeman, 57 ans, est une agricultrice afro-américaine bien éloignée des «farmers» (exploitants agricoles) blancs du Midwest. L’Indiana, l’Ohio et le Michigan sont derrière nous. Déjà plus de mille miles au compteur pour notre camping-car (RV), ce container sur roues de trente pieds que tous les Américains rencontrés trouvent si «fun», avec deux journalistes suisses à bord.
Lisa Freeman, donc. Nous voici à Viniata Street, la rue de sa ferme urbaine, à la périphérie de Pittsburgh, au pied de l’un des Interstate (autoroute) qui desservent la grande ville industrielle de la Pennsylvanie. Juste avant, notre RV est passé devant l’immeuble du Pittsburgh Gazette, autrefois l’un des titres de presse les plus respectés de cette région absolument cruciale pour l’élection présidentielle du 5 novembre. Aujourd’hui, les lettres gothiques du journal devenu maigrelet et très régional semblent s’adresser à un grand vide. «Les Américains ne s’informent malheureusement plus. Ils se complaisent dans leurs réalités virtuelles. C’est notre grand défi, en tant qu’élus», lâche au téléphone Paul Strauss, le Sénateur «Shadow» – car il n’a pas le droit de vote – de Washington DC, la capitale fédérale où nous comptons bien faire escale pour prendre le pouls des institutions, et de la démocratie américaine.
Le cœur de son Amérique
Lisa n’a, elle, pas besoin de tâter le cœur de son Amérique. Devant les serres installées sur d’anciens terrains industriels dans lesquelles elle cultive des légumes bios, cette courageuse militante du vivre, cultiver et manger autrement dans un pays ligoté par les lobbies agroalimentaires et les chaînes de fast-food, n’a qu’un nom en tête: Kamala Harris. Pas parce que l’actuelle vice-présidente incarne l’alternative politique qu’elle souhaiterait. Lisa Freeman est une militante écologiste de gauche dans un pays qui n’accepte ni l’écologie, ni la gauche.
Son credo? «Kamala est un rempart. Le rempart contre Trump et ses politiques qui détruisent tout ce que nous avons de plus précieux: l’environnement, notre hygiène de vie, notre santé. Le rempart contre le retour des pires discriminations raciales, cette fois envers les migrants.» Les plaies de l’Amérique, vues par Lisa Freeman, sont à la fois sociales, environnementales, alimentaires, sanitaires. Cette agricultrice urbaine est désormais gérante d’un café solidaire où elle prépare le soir venu des soupes de légumes pour les sans-domicile fixes, et des tisanes à base de plantes anticancéreuses. Elle nous reçoit autour d’une table, devant ses serres pour le moment hors service. «La communauté afro-américaine est celle qui souffre le plus des politiques trumpistes. C’est pour cela qu’il faut se battre. Kamala n’est pas parfaite, d’accord. Mais elle nous représente. Est-ce que Trump, lui, représente l’Amérique? Non, évidemment que non.»
Il n’y a guère de passion dans les mots de Lisa à propos de l’actuelle vice-présidente. Kamala Harris, nous le constatons depuis notre arrivée à Chicago, n’est pas Barack Obama et encore moins Michèle, sa femme. Elle ne déclenche pas l’enthousiasme. L’empathie fait défaut. Matthew Moon, responsable du parti démocrate à l’autre bout de la Pennsylvanie, à Gettysburg, le reconnaît bien volontiers: «Il manque à Kamala ce charisme de l’orateur, cette capacité à convaincre par un geste, par votre «body language». Elle n’a pas le talent d’Obama, c’est certain.»
Notre interlocutrice, à Pittsburgh, tourne un peu autour du pot. Solidarité féminine évidente. Déception aussi envers Obama, ce premier président noir accusé par ses partisans d’avoir trop gouverné au centre. Kamala Harris serait, si elle est élue, la première femme présidente des États-Unis. Une femme noire. Bien plus qu’un symbole, la preuve que l’Amérique de Trump n’est pas celle de l’avenir.
Chaque matin jusqu’à la mi-novembre, je prends pour vous le pouls de l’Amérique. Un rendez-vous écrit sur le terrain, là où se joue le duel entre Donald Trump et Kamala Harris.
Et pas n’importe quel terrain: d’ici au 5 novembre, date de l’élection présidentielle, c’est sur les routes, entre Chicago, où Kamala Harris a été investie par la convention démocrate à la mi-août, et Mar-a-Lago, le fief de Donald Trump en Floride, que je rédigerai ces chroniques matinales en cinq points. En plus: une série de reportages à ne pas manquer et des vidéos et photos de mon collègue Pierre Ballenegger.
Vous faites partie de ceux qui pensent que notre avenir se joue aussi le 5 novembre, de l’autre côté de l’Atlantique? Alors ne ratez pas ces chroniques. Partagez-les. Et réagissez!
Chaque matin jusqu’à la mi-novembre, je prends pour vous le pouls de l’Amérique. Un rendez-vous écrit sur le terrain, là où se joue le duel entre Donald Trump et Kamala Harris.
Et pas n’importe quel terrain: d’ici au 5 novembre, date de l’élection présidentielle, c’est sur les routes, entre Chicago, où Kamala Harris a été investie par la convention démocrate à la mi-août, et Mar-a-Lago, le fief de Donald Trump en Floride, que je rédigerai ces chroniques matinales en cinq points. En plus: une série de reportages à ne pas manquer et des vidéos et photos de mon collègue Pierre Ballenegger.
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Un enjeu capital aussi dans un pays qui n’a encore jamais envoyé une femme à la Maison-Blanche: «Je fais un lien entre ma ferme et la politique nationale, poursuit Lisa Freeman. Qu’est-ce que je fais ici, avec mes productions de légumes, de tisanes et de plantes médicinales, sinon d’essayer de démontrer que nous ne sommes pas condamnés à rester ce que nous sommes. Les États-Unis peuvent s’affranchir de cette société de consommation vouée au profit, dominée par les grandes corporations. Tous les Américains ont droit à une alimentation plus saine. Il faut les aider à ouvrir les yeux, car les industriels de la «trashfood» (malbouffe) font tout pour les aveugler. Avec Kamala Harris au pouvoir, on a au moins une chance de se faire entendre. Pour la communauté noire, c’est essentiel.»
Deux Amériques
La Pennsylvanie est l’État idéal pour mesurer ce face-à-face des deux Amériques. A Cranberry Township, dans le Comté de Butler où Donald Trump a failli se faire tuer le 13 juillet, Rick et June Mohall ont défendu devant nous, avec une exquise gentillesse, ces valeurs qu’ils estiment malheureusement naufragées. La réussite par l’argent. Le mariage hétérosexuel (tout en affirmant ne rien avoir contre les unions libres homosexuelles). L’importance du travail et de l’ascenseur social.
Trente kilomètres plus au sud, dans sa maison en briques de Pittsburgh coincée entre des Églises chrétiennes «de plus en plus vides», Lisa Freeman nous dit le contraire avec une gentillesse et une sincérité identique. Elle s’inquiète, elle aussi, de la désaffection électorale des hommes noirs envers Kamala Harris, cette procureure qui a, dans le passé, souvent envoyé des délinquants noirs en prison.
Elle ne conteste pas le poids que l’argent et des grandes firmes jouent toujours au sein du parti démocrate. Elle n’a pas une confiance aveugle en l’État fédéral. Mais elle assimile Trump à tout ce que le passé de l’Amérique charrie de brutalités, d’injustices raciales, de brutalité et de manœuvres juridiques pour permettre aux plus fort de triompher toujours un peu plus. «Où est la diversité dans le camp Trump? Pourquoi veut-il encore réduire les impôts des plus riches? Trump est le candidat d’une forme d’oppression. Celle du profit à tout prix et de la force. C’est d’ailleurs pour cela qu’il aime tant les tyrans.»
J’ai repensé au doux visage, souriant, de Lisa Freeman lorsque nos pas ont croisé, à Gettysburg, la première manifestation de rue pro-Harris. Nous venions de visiter l’un des champs de bataille les plus effrayants de la guerre de sécession (1861-1865). Gettysburg, avec ses forêts remplies de monuments aux morts, rime avec le plus grand désastre que les États-Unis ont produit au cours de leur histoire. Une boucherie en tous points annonciatrice de la Première Guerre mondiale, 50 ans plus tard en Europe.
Les militantes pro-Harris battent le pavé
Et voilà qu’au rond-point de Lincoln Square, du nom du président assassiné après la guerre civile, une escouade de militantes bat le pavé pour défendre les droits des femmes, et appeler à voter pour le tandem Harris-Waltz. Ces visages de la campagne démocrate sont ceux d’une Amérique féminine qui a peur pour ses droits, pour la possibilité de disposer de son corps, et pour les conséquences d’une politique qui se résumerait à des «deals», ces accords sonnants et trébuchants dont Trump a fait son axiome. Quelques voitures ornées d’autocollants Trump ou MAGA (Make America Great Again) klaxonnent les manifestants. Des invectives sont criées par quelques automobilistes. La Pennsylvanie, pourvoyeur de 19 grands électeurs sur les 538 du collège électoral, est le champ d’affrontement électoral parfait de ces deux Amériques.
Une campagne très rigoureuse
La nouvelle la plus intéressante, du point de vue politique, est celle que me confie Matthew Moon, le responsable des démocrates de Gettysburg. Je le rencontre dans le jardin d’un sympathique café de la ville. Les arbres sont jaunis par l’automne. Le ciel est bleu azur. Le meilleur de l’été indien sur la côte est des États-Unis. Pour Matthew, parti voici dix ans de San Francisco en raison de l’explosion des loyers et du foncier en Californie, la campagne Harris-Waltz, est «de loin la plus professionnelle, la plus rigoureuse, la mieux organisée». Chaque week-end depuis des semaines, des légions de «canvassers» (littéralement «chercheurs de voix») frappent aux portes et s’efforcent de convaincre les électeurs démocrates encore indécis. «Il ne s’agit pas de multiplier les coups de buzz, comme le fait Trump. Il s’agit d’aller chercher chaque électeur enregistré pour le parti démocrate», complète Matthew.
Je lui demande quel est l’argument massue des «canvassers». Celui qui, comme le souhaite Lisa Freeman à Pittsburgh, va démontrer une fois pour toutes que «Donald Trump est un danger pour notre Amérique». A moins d’un kilomètre du cimetière de Gettysburgh et des allées interminables de tombes de soldats tués durant la guerre civile, Matthew me fait la même réponse que Lisa: «Trump ne représente pas l’Amérique. S’il devait gagner, ce sera à nouveau contre le vote populaire national, grâce à un ou deux États qui décideront de notre sort à tous. Il ne sera jamais le président de tous les Américains.»
Prochain épisode: En Virginie, les armes et le spectre de la guerre civile
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