Emmanuel Macron est attendu en Nouvelle-Calédonie pour une visite à risques destinée à renouer le fil du dialogue et accélérer le retour à l'ordre après une semaine d'émeutes dans l'archipel, visé mercredi par une cyberattaque «d'une force inédite».
Au terme d'un périple de plus de 17.000 km, le chef de l'Etat doit atterrir jeudi matin en heure locale dans le territoire français du Pacifique Sud, notamment pour y installer une «mission», a précisé sans autre détail la porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot.
Lors de sa visite sur le Caillou, que les acteurs locaux ont découverte dans la presse, Emmanuel Macron doit notamment s'entretenir avec les élus et acteurs économiques de l'archipel, que les violences et destructions ont plongé dans une situation catastrophique. Sur le terrain, les indépendantistes ont d'ores et déjà annoncé la mise en place de comités d'accueil du président, avec dans certaines zones des barrages «renforcés», selon le FLNKS.
Cyberattaque d'une «force inédite»
Cette visite surprise intervient alors que se multiplient, jusque dans la majorité, les demandes de report du projet de loi constitutionnelle sur le corps électoral, rejeté par les indépendantistes. Dans l'archipel, la nuit de mardi à mercredi «a été plus calme que la précédente malgré deux incendies dans l'agglomération de Nouméa», a rapporté le Haut-commissariat de la République. Selon la municipalité de Nouméa, interrogée par l'AFP, deux écoles et 300 véhicules d'un concessionnaire sont notamment partis en fumée.
«Très peu de temps après l'annonce» de la visite présidentielle, la Nouvelle-Calédonie a par ailleurs été visée par une cyberattaque «d'une force inédite» visant à «saturer le réseau calédonien», a annoncé Christopher Gygès, membre du gouvernement collégial calédonien. L'attaque, consistant en l'envoi simultané de «millions d'emails», a été stoppée «avant qu'il y ait des dégâts importants», a-t-il assuré. «Je crois qu'il y a énormément de structures qui ont été touchées, les banques etc...», a commenté sur France 2 la maire de Nouméa, Sonia Lagarde.
Le parquet de Paris a indiqué à l'AFP que la section de lutte contre la cybercriminalité s'était saisie de l'enquête, après dessaisissement du parquet de Nouméa. Cette cyberattaque ne constitue «rien de très grave», a tempéré une source proche du gouvernement, et son lien avec la Russie, évoqué par BFMTV, n’a «rien de prouvé».
Une situation toujours précaire
Sur le terrain, le calme reste précaire. Dans un quartier aisé du sud de Nouméa épargné par les émeutes, Jean, 57 ans, occupe depuis une semaine avec ses voisins une barricade destinée à empêcher d'éventuelles intrusions. La venue du président est «une bonne nouvelle», estime-t-il. «La situation est totalement bloquée, il faut espérer que ça permette aux esprits de se calmer, qu'une porte de sortie va être trouvée.»
Sur un barrage de Dumbéa, un fief indépendantiste à l'ouest de Nouméa, Mike, 52 ans, se réjouit lui aussi que «Macron arrive pour voir ce qui se passe». «Nous, on reste sur l'opposition: c'est non au dégel», s'empresse-t-il d'ajouter. «Je ne comprends pas pourquoi notre sort doit être discuté par des gens qui n'habitent même pas ici». L'ex-Premier ministre Edouard Philippe, très impliqué dans le dossier calédonien durant son passage à Matignon (2017-2020), a dit espérer de la visite présidentielle des annonces «à la hauteur».
Neuf jours après le début des plus graves violences touchant l'archipel depuis près de quarante ans, la situation reste précaire et des quartiers entiers toujours difficilement accessibles.
Aéroport fermé jusqu'à jeudi matin
Mercredi matin, des incendies étaient visibles en plusieurs points de l'agglomération de Nouméa, a constaté une journaliste de l'AFP. Il est «beaucoup trop tôt» pour faire un bilan global des dégâts, car il y a encore des quartiers où les agents ne vont pas, a expliqué à l'AFP l'administration de la ville de Nouméa. Le Haut-commissariat a indiqué que «plus de 90 barrages ont déjà été neutralisés et sont progressivement nettoyés». «Non, c'est pas réglé. C'est extrêmement compliqué pour les forces de l'ordre qui font leur travail (...) Ils dégagent les barrages, mais les barrages sont remontés les uns après les autres», a déploré la maire de Nouméa.
Depuis le début des violences, six personnes ont été tuées, dont deux gendarmes mobiles. Quelque 84 policiers et gendarmes ont aussi été blessés, selon le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. Les forces de l'ordre ont procédé à près de 300 interpellations, dont 269 menant à des gardes à vue, 35 à des déferrements et 17 à des mandats de dépôt, a détaillé mercredi le procureur de Nouméa, Yves Dupas. Signe de la difficulté à reprendre en main la situation sécuritaire, l'aéroport international de l'archipel restera fermé aux vols commerciaux jusqu'à samedi matin.
Les non-indépendantistes divisés
Une centaine de ressortissants australiens et néo-zélandais ont été évacué de Nouvelle-Calédonie sur des «vols affrétés par leurs autorités», selon le Haut-commissariat. Les mesures exceptionnelles de l'état d'urgence sont maintenues: couvre-feu nocturne, interdiction des rassemblements, du transport d'armes, de la vente d'alcool et de l'application TikTok.
Saisi par des défenseurs des libertés, le Conseil d'Etat a accordé mardi vingt-quatre heures supplémentaires au gouvernement pour motiver le blocage du réseau social et apporter des preuves du rôle que lui attribuent les autorités dans les émeutes.
Sur le front politique, les principales figures non-indépendantistes de l'archipel ont appelé à poursuivre l'examen de la réforme constitutionnelle contestée, qui doit être adoptée avant fin juin par le Congrès à Versailles. Mais plusieurs élus de ce camp, comme Sonia Lagarde ou le parti Calédonie Ensemble, ont appelé à mettre le projet sur pause, le temps de renouer le dialogue. La Fédération protestante de France (FPF), qui avait participé à la déterminante mission de dialogue en Nouvelle-Calédonie de 1988, a elle appelé l'Etat «à renouer avec un esprit d'écoute et un positionnement plus neutre» dans la crise.