Une mère a le regard dans le vide. Elle veut rentrer chez elle. Elle est épuisée. Assise avec ses enfants sur des valises à la gare de Przemyśl, en Pologne, elle est à quelques kilomètres de la frontière ukrainienne. Elle attend le train qui la ramènera chez elle. Elle ne s’étalera pas sur ce qu’elle a vécu depuis le début de la guerre.
En Pologne, des millions de réfugiés ukrainiens ont été accueillis à bras ouverts pendant des mois. Aujourd’hui, ils ne sont plus aussi nombreux qu’au début du mois de mars, et malgré une solidarité polonaise à toute épreuve, beaucoup veulent désormais rentrer chez eux. Le danger semble avoir été écarté de nombreuses régions d’Ukraine, du moins pour le moment. L’armée russe paraît affaiblie.
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La guerre a endurci les gens
À Lviv, à l’ouest de l’Ukraine, les alertes à la bombe ne se sont pas tues. «Mais nous ne voulons pas vivre dans la peur», assure Roksolana. La jeune femme, qui travaillait à Kiev jusqu’à l’éclatement de la guerre, a ensuite trouvé refuge à Lviv chez des proches. Elle est venue à Przemyśl ce matin de mai, non pas pour fuir l’Ukraine, mais pour rendre visite à ses proches, réfugiés en Pologne, «après trois mois d’incertitude».
Roksolana prévoit déjà de rentrer la semaine prochaine. Au premier abord, l’Ukrainienne ne semble pas affectée par ce qui se trame dans son pays. Mais lorsqu’elle montre sur son smartphone des images de la destruction causée par la guerre, ses mains tremblent. Le conflit n’est pas encore terminé, mais la jeune femme s’est endurcie. On apprend à vivre avec le danger. L’espoir d’une fin prochaine de la guerre suffit à faire revenir beaucoup de gens.
Pour beaucoup, une étrange normalité s’est installée. Les trains et les bus traversent à nouveau régulièrement la frontière. Ils sont généralement bien remplis, dans les deux sens. «Il faut bien que quelqu’un reste dans le pays pour maintenir l’économie en vie», expliquent deux femmes en passant, sur le chemin de Lviv.
Des volontaires du monde entier
Malgré l’envie d’un retour à la normale, l’état d’urgence règne toujours dans le pays. Des mères marquées par la guerre arrivent encore avec leurs enfants à la gare de Przemyśl pour se réfugier plus à l’ouest encore.
Depuis des mois, des bénévoles sont à l’œuvre pour aider les réfugiés et citoyens d’Ukraine. Certains viennent de loin, comme Cecilia, originaire de Corée du Sud. Elle est arrivée en Pologne à la mi-mai. «Je veux aider les familles, explique la Coréenne. C’est merveilleux de voir des bénévoles de Pologne et du monde entier travailler ensemble.»
Elle ne parle ni le polonais ni ukrainien, mais avec Google Translate, la communication fonctionne tout de même un peu, raconte-t-elle en riant. Elle souligne toutefois que le travail est difficile, émotionnellement, et regarde en direction d’une vieille femme assise sur un banc avec des béquilles. Elle a eu du mal à quitter l’Ukraine. Cecilia se console en pensant à ce qu’elle peut apporter à ces personnes en souffrance: «Peut-être que je peux faire naître un sourire sur le visage des réfugiés.»
Tout n’est pas rose en Pologne
Des Ukrainiennes donnent également un coup de main à Przemyśl. Comme Ludmila, qui a fui Mykolaïv en mars. À Katowice, dans le sud-ouest de la Pologne, où une famille l’a accueillie gratuitement, la biologiste n’a pas trouvé de travail. Elle se rend régulièrement à Przemyśl, à 300 kilomètres à l’est, pour cinq jours, et travaille pour l’ONG World Central Kitchen. «C’est mon premier jour de travail et j’en suis très heureuse.»
Ses parents n’ont pas la vie facile en Pologne. Sans connaissances en anglais ou en polonais, il n’est pas facile de s’intégrer dans le pays, malgré l’accueil. Pour Ludmila, l’avenir se trouve ici: «J’envisage de rester en Pologne à long terme.» Dans l’esprit de l’Ukrainienne, pourtant, son pays n’est jamais loin.
«Lutter ensemble pour la vie»
Des combattants étrangers veulent également agir pour changer les choses. Deux Géorgiens, la quarantaine, sont de retour en Pologne après trois mois passés dans l’est de l’Ukraine. Ils souhaitent rester anonymes, mais ils racontent leur engagement. Depuis mars, ils ont combattu côte à côte avec les Ukrainiens. «Quand tu te bats pour la vie et la mort avec d’autres, un lien spécial se crée avec tes camarades, raconte l’un d’eux. Ils deviennent tes frères.»
Les deux ne se battent pas seulement pour l’Ukraine, mais aussi pour leur propre pays. «Les Russes ont déjà fait assez de dégâts en Géorgie», dénoncent-ils. En 2008, Vladimir Poutine a envoyé des troupes dans le Caucase. «Il faut bien que quelqu’un arrête cet agresseur.» Aujourd’hui, après trois mois, les deux hommes retournent à Tbilissi, avant d’assurer que «si c’est nécessaire, nous reviendrons».
L’Américain Danny est également prêt à prendre la route. Il a voyagé pendant 40 heures, du Texas à Przemyśl, et attend maintenant un train de nuit pour Odessa. «Là-bas, je rejoindrai l’armée ukrainienne.» Il visera ensuite l’est, dans le Donbass, où des combats ont encore lieu.
La situation ne laisse personne indifférent
«J’ai réservé un billet aller simple pour une zone de guerre, explique Danny, une pointe d’ironie dans la voix. Ce n’était probablement pas la meilleure idée.» Le combat au front n’est une nouveauté pour ce vétéran des Marines. Il a déjà servi les États-Unis pendant la première guerre en Irak de 1991 en tant que machine gunner (ndlr: mitrailleur).
Avec une bonne dose d’emphase américaine, il ajoute: «Je sais que je me bats du bon côté. Je vais en Ukraine pour mettre fin à ce que Poutine a commencé.» Il fait cela pour les enfants et les familles, pour l’avenir. Il n’a pas peur. «Sinon, je ne serais pas venu.» Mais au moment de parler avec sa mère, au téléphone, juste avant le départ, les larmes lui montent aux yeux. «Tu ne peux pas rester indifférent à tout cela.»
À la gare frontière de Przemyśl, toutes les personnes qui contribuent à la mécanique et aux retombées de la guerre se croisent, comme dans un microcosme. Cecilia de Corée, Roksolana de Lviv, Ludmila de Mykolaïv, les mercenaires géorgiens, Danny du Texas ainsi que les bénévoles apportent chacun et chacune leur contribution pour espérer revenir un jour à une normalité, qui n’aura alors plus rien d’artificiel.
(Adaptation par Louise Maksimovic)