Match pour la paix à Bâle
Le temps d'une soirée, Kiev n'a plus été synonyme de guerre

Le Dynamo Kiev s'est imposé contre le FC Bâle, mercredi soir au Parc Saint-Jacques (2-3). Un score anecdotique dans une rencontre pour la paix où de nombreux réfugiés ukrainiens ont pu oublier, quelques heures, les affres des combats au pays.
Publié: 05.05.2022 à 06:18 heures
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Dernière mise à jour: 06.05.2022 à 19:05 heures
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La star ukrainienne Tina Karol chante l'hymne ukrainien avant le début du match, au milieu des joueurs du Dynamo Kiev.
Photo: Freshfocus
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Ugo CurtyJournaliste Blick

Le petit Myron décolle de son siège. Son Dynamo Kiev vient d'ouvrir le score contre le FC Bâle. Toutes les lumières du stade brillent dans les yeux du garçon ukrainien lorsqu'il applaudit Oleksandr Karavaev. Le numéro 20 célèbre ce goal en pointant le message inscrit en anglais sur son maillot: «Arrêtez la guerre».

Des maris, des pères restés au pays

Les drapeaux jaunes et bleus recouvrent le stade rhénan. Daria embrasse son fils et le serre fort contre elle, un peu trop fort. Croiser le regard de la jeune femme est aussi beau que déchirant. La joie et la fierté y luttent avec cette satanée tristesse. Ce mercredi soir, les deux premières émotions reprennent un peu le dessus... le temps d'un match de foot au moins.

«On peut un peu oublier la guerre, répond-elle en anglais, comme si elle avait lu nos pensées. Les combats sont toujours là dans mon esprit et sur l'écran de mon smartphone. En voyant les joueurs de Kiev sur le terrain, je pense beaucoup à mon mari et mon père qui sont restés pour défendre notre pays. Ils sont fans du Dynamo et ce sont eux qui emmenaient notre fils au football.»

Daria et Myron (au premier plan) ont fui Kiev. Cette mère et son fils posent avec deux autres Ukrainiennes et leurs garçons. «On s'est rencontrées au stade et nous sommes devenus amies.»
Photo: UCY

Un blondinet qui vit désormais loin de Kiev, à Binningen, dans la banlieue bâloise, avec sa maman. Myron y va déjà à l'école. «Tout le monde est très gentil avec moi», explique-t-il avec sa voix fluette. Daria traduit pour nous en anglais et ajoute: «C'est un peu compliqué avec l'allemand mais au moins ici, on n'entend plus les bombes. En plus, l'école vient de réussir à organiser une classe d'intégration en ukrainien.»

Le Dynamo Kiev, ambassadeur de tout un pays

Des histoires comme celle de cette mère courageuse et de son fiston, on en a croisé plein dans les tribunes du Parc Saint-Jacques. Plus de 15'000 personnes ont suivi la rencontre amicale organisée par le FC Bâle. Une soirée caritative qui a permis de récolter des fonds pour la Chaîne du Bonheur en Ukraine et au Dynamo Kiev de fêter une victoire honorifique (3-2).

Dasha et Sergei ont eux fait le déplacement depuis Bienne. «Quand on a vu que Kiev jouait en Suisse, on a sauté de joie», expliquent les deux jeunes qui ont fui Donetsk. D'habitude, ils soutiennent le club rival du Chakhtar. «Mais pas ce soir», sourient-ils derrière leur drapeau ukrainien, marqué de la colombe de la paix.

Dasha et Sergei se construisent une nouvelle vie à Bienne où ils ont repris leurs études.
Photo: UCY

L'adolescente prend ses marques dans une classe de gymnase, tandis que son cousin suit à distance ses cours de biophysique. Sa faculté à l'université de Kharkiv poursuit l'enseignement en ligne, malgré les bombardements.

Des bénévoles du FC Bâle

Un t-shirt blanc a été créé pour l'occasion. Vanessa le porte fièrement avec ses deux collègues. Le trio travaille pour le FC Bâle. «On a tous collaboré bénévolement pour soutenir l'événement. Par exemple, en vendant des glaces ou en aidant à la billetterie. C'est beau de voir tous ces drapeaux au stade.»

Vanessa est une collaboratrice du FC Bâle. Avec ses deux collègues, elle a travaillé bénévolement dans l'organisation. Le trio porte le t-shirt spécialement conçu pour ce match.
Photo: UCY

Ce Parc Saint-Jacques, Natalia le connaît bien. Cette mère de famille vit à Bâle depuis 17 ans. Son mari et son fils arborent d'ailleurs le rouge et le bleu du club local. L'Ukrainienne porte une couronne florale traditionnelle pour accompagner son complet... bleu et jaune forcément.

Natalia (à droite) vit à Bâle depuis 17 ans. Elle s'y est mariée et a fondé une famille. Aujourd'hui, elle se bat pour ses compatriotes qui tentent de se reconstruire en Suisse.
Photo: UCY

«Il ne faut jamais s'habituer à la guerre»

«Ma mère Alla est arrivée en Suisse pour fêter son anniversaire cinq jours avant le début de l'invasion russe.» La mamie n'est jamais repartie au pays. «Depuis le début de la guerre, nous faisons tout pour aider les familles ukrainiennes qui arrivent dans la région, avec des repas, des traductions ou des démarches administratives. Mais nous arrivons à bout de forces et de ressources. Il faut que les gens nous aident.»

Son appel à l'aide résonne encore bien après le coup de sifflet du match, lorsque Mircea Lucescu ressort des vestiaires. À 76 ans, le coach roumain du Dynamo Kiev a tout connu dans le football. «C'est le seul sport qui touche autant de personnes à travers le monde, de manière si simple et directe. Ce que nous avons vécu avec ce match amical, c'était un moment extraordinaire de solidarité et d'amour.» L'entraîneur légendaire refuse aussi que le guerre en Ukraine tombe dans l'oubli. «Il ne faut jamais s'habituer, refuser que ses atrocités deviennent une simple routine qu'on voit aux infos.»

L'hymne ukrainien comme note de fin

Le stade s'est vidé. Au bord du terrain, il ne reste plus que des chasseurs d'autographes insatisfaits et ce groupe de femmes qui entonnent une dernière fois l'hymne national ukrainien, comme pour prolonger ce moment hors du temps. «Pour notre liberté, nous donnerons nos âmes et nos corps.» Leurs voix montent dans la nuit bâloise, jusqu'à celles et ceux qui n'ont pas la chance d'être là ce mercredi soir. Le temps d'une soirée au moins, Kiev n'a plus été que le synonyme de la guerre.


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