Vote historique à l'Assemblée
Michel Barnier a été renversé: les 5 leçons pour la France et Macron

Une telle crise politique n'avait pas eu lieu depuis 1962 ! En votant la censure du gouvernement de Michel Barnier, une majorité absolue de députés d'opposition impose une difficile prise de conscience. Pour Emmanuel Macron et pour son pays.
Publié: 05.12.2024 à 06:00 heures
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Dernière mise à jour: 05.12.2024 à 12:27 heures
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Fin de partie pour Michel Barnier, 73 ans: il reste comme le Premier ministre le plus éphémère de l'histoire de la Ve République.
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

Impossible de ne pas en tenir compte. La France vient de vivre, mercredi 4 décembre, l’une des crises politiques les plus graves de son histoire récente. Le fait qu’une large majorité de 331 députés sur 577 a voté la motion de censure présentée par la gauche (celle du Rassemblement national n’a pas été mise au vote) pour renverser le gouvernement de Michel Barnier, condamne le second mandat présidentiel d’Emmanuel Macron a être toujours plus chaotique.

Comment en sortir? Quel premier ministre pour diriger quel type de gouvernement alors que les finances publiques dérapent? Quelles leçons tirer de cet acte de défiance majeur envers l’exécutif?

Leçon N° 1: Barnier a payé pour Macron

Il ne faut pas se tromper. Attendu ce jeudi matin à 10 heures pour présenter sa lettre de démission à l'Élysée après seulement 91 jours à la tête du gouvernement (le plus éphémère de la Ve République), Michel Barnier paie le prix d'un engrenage qui lui échappe.

Dès que la motion de censure a été votée par 331 députés sur 574 sièges pourvus – soit le total des élus du Rassemblement national (droite nationale populiste), du Nouveau Front Populaire (la coalition de gauche entre socialistes, écologistes, communistes et La France Insoumise), plus des indépendants – ses partisans ont aussitôt porté le fer contre Emmanuel Macron.

C’est bel et bien sa démission qui est demandée par Marine Le Pen et par les dirigeants du NFP, à commencer par Jean-Luc Mélenchon. L’intéressé répondra dès ce jeudi soir, lors d’une intervention télévisée à 20 heures. Jusque-là, le président de la République a toujours rejeté tout départ prématuré, avant la fin de son second et dernier mandat en mai 2027.

Reste un constat: la crise politique actuelle découle directement de sa décision de dissoudre par surprise l’Assemblée nationale le 9 juin, au soir des élections européennes. Et sa marge de manœuvre politique se réduit jour après jour. La seule lumière dans ce tunnel qu’est devenu l’Elysée est la réouverture de Notre-Dame, prévue ce samedi, cinq ans et demi après l’incendie du 15 avril 2019.

Leçon N° 2: RN et NFP sont incontournables

L’arithmétique parlementaire reconfirmée par le vote de la motion de censure – la première depuis 1962 (!) – est implacable. Le Rassemblement national (RN) et le Nouveau front populaire (NFP) viennent de démontrer qu’ils sont incontournables. La seule solution, pour un futur Premier ministre, est donc de les intégrer d’une façon ou d’une autre dans sa future coalition gouvernementale. Ou bien de conclure avec eux un pacte de «non-censure» en échange de concessions politiques majeures.

Vu que ces deux formations politiques aux antipodes ne veulent pas gouverner ensemble, l’unique option est de choisir entre les deux. Bref, de miser sur l’une pour désarmer l’autre. En clair: soit nommer un Premier ministre chargé de reconduire un gouvernement de droite, en sollicitant le feu vert ou la participation du RN; soit proposer à la gauche de constituer un gouvernement comme elle le réclame depuis sa courte victoire aux législatives.

Gare: pour éviter une censure, ce gouvernement de gauche devra rallier la droite et le centre. Plus qu’un casse-tête: une mission presque impossible. Reste l'option souvent évoquée d'un gouvernement technique, composé de hauts fonctionnaires, juste pour maintenir le pays à flot.

Leçon N° 3: Marine Le Pen s’est vengée

L’ex-candidate du Rassemblement national aux présidentielles de 2012, 2017 et 2022 a abattu ses cartes. Elle veut une élection présidentielle anticipée. Ou, sinon, un gouvernement qui négocie directement avec elle. Cheffe du groupe des députés RN, la voici propulsée par cette motion de censure en adversaire n° 1 d’Emmanuel Macron, et en force dominatrice à droite, vu que de nouvelles élections seraient sans doute très favorables à son parti.

Pour la patronne du RN, qui redoute d’être déclarée inéligible avec exécution immédiate le 31 mars, lors du jugement dans son procès pour détournement de fonds publics, l’heure de la vengeance est venue. Une vengeance contre tous les autres partis qui s’étaient ligués contre sa formation, en se désistant les uns les autres, au second tour des législatives.

Vengeance aussi contre Emmanuel Macron qui l’a battue deux fois dans les urnes. Vengeance contre Michel Barnier, qui espérait la séduire avec un programme anti-immigration, tout en lui dérobant son électorat. Et vengeance enfin, peut-être, contre son dauphin Jordan Bardella qui rêve déjà de prendre sa place.

Leçon N° 4: Le précipice du budget

Le gouvernement de Michel Barnier est tombé ce mercredi 4 décembre parce que le Premier ministre avait engagé sa responsabilité sur le projet de budget de la Sécurité sociale, afin de le faire adopter sans vote via l’article 49.3 de la Constitution. Et ce, avant même l’examen du projet de lois de finances.

Dans les faits, les négociations budgétaires se sont vite avérées impossibles. Le RN, comme le NFP, veulent maintenir ouvert le robinet des dépenses publiques. L’ex-Premier ministre, lui, voulait tenir compte des contraintes internationales, avec de nouveaux impôts et des dizaines de milliards d'euros d'économies. La France se retrouve-t-elle devant une crise financière majeure?

Pas pour le moment, malgré la hausse des taux d'intérêts. Différents dispositifs permettent par ailleurs de reconduire, au minimum, le budget de 2024.

Mais attention: le fossé politique entre les pragmatiques, convaincus que l’heure est grave et que le pays doit se serrer la ceinture, et ceux qui ne veulent pas entendre parler d’austérité ou d’impôts supplémentaires (sauf pour les plus riches), est un précipice. Or là aussi, Emmanuel Macron n’a pas de marge de manœuvre car c’est lui qui, depuis 2017, a aggravé la dette et les déficits malgré sa réussite en matière d'attractivité.

Leçon N° 5: Notre-Dame, le miracle obligatoire

Donald Trump débarque samedi 7 décembre dans une France politiquement paralysée. Le président élu des Etats-Unis ne va donc pas manquer d’en profiter, lui qui a tout raflé lors des dernières élections dans son pays. La cinquantaine de chefs d’Etat ou de gouvernement présents dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, pour sa réouverture solennelle, se poseront d’ailleurs sans doute la même question: combien de temps leur hôte, Emmanuel Macron, sera-t-il encore leur interlocuteur?

Ironie des circonstances, ce pays très laïc qu’est la France voit la République se retrouver, en pleine crise, au chevet de son monument religieux le plus prestigieux. L’Eglise catholique ne sera pas représentée par le pape François, qui a choisi de se rendre une semaine plus tard en Corse, à Ajaccio.

Une chose est certaine toutefois: il faudrait un miracle pour que les noms des Premiers ministres évoqués (le centriste François Bayrou, le conservateur François Baroin, le ministre de la Défense Sébastien Lecornu, les anciens chefs du gouvernement Jean Castex ou Bernard Cazeneuve) débouchent sur une solution politique stable et durable. En sachant que le président ne peut pas re-dissoudre l'Assemblée nationale avant juillet 2025.

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