Tracteurs en colère
Ces agriculteurs européens qui n'en peuvent plus

Ils sont bien décidés à se faire entendre d'ici aux élections européennes de juin 2024. Les agriculteurs européens sont sur le pied de guerre. Voici pourquoi.
Publié: 20.01.2024 à 11:02 heures
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Dernière mise à jour: 23.01.2024 à 18:18 heures
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A Berlin, la semaine verte s'est ouverte le 19 janvier. Mais dans les rues de la capitale allemande, les agriculteurs manifestent.
Photo: Getty Images
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Richard WerlyJournaliste Blick

Les damnés de la terre sont en colère. Ils l’avaient montré aux Pays-Bas, avant les élections législatives du 22 novembre remportées par le parti d’extrême droite de Geert Wilders. Ils l’ont montré ces derniers jours en Allemagne, lorsqu’une foule de tracteurs a envahi Berlin, jusqu’à la porte de Brandebourg.

Ils sont prêts à monter au front en France, où Emmanuel Macron vient de donner ordre aux préfets des départements ruraux de tout faire désamorcer la crise, à cinq mois des élections européennes du 9 juin 2024. Les agriculteurs sont les nouveaux rebelles de l’Europe. Nouveaux? Pas vraiment, car leur colère est ancienne, motivée par les contraintes de plus grandes qui leur sont imposées.

Broyés dans un étau

Les paysans contre l’Europe qui les broient dans l’étau de ses contradictions? Oui. Parce qu'ils n’en peuvent plus. D’un côté, les gouvernements leur demandent de produire davantage pour assurer la souveraineté alimentaire de leurs pays, et du Vieux Continent, alors que le grenier à céréales de l’Ukraine est en feu.

De l’autre, tout est fait pour les ligoter davantage, transformant leurs fermes en cibles des bureaucraties nationales et des réglementations édictées à Bruxelles. Hausse des taxes sur le gazole, réduction de l’usage des pesticides, limitation des rejets d’azote ou de gaz à effet de serre, augmentation des jachères pour préserver la biodiversité…

Le prix à payer

Les agriculteurs, et les pécheurs pour les pays disposant d’un littoral, estiment payer un prix bien trop élevé à la transition écologique. En Allemagne, le leader syndical paysan Joachim Rukwied exige le maintien d’une ristourne sur les prix du carburant. Ses troupes font le siège du Bundestag, le parlement. La presse, outre-Rhin, parle déjà des «gilets verts», en référence aux «gilets jaunes» français qui défièrent le gouvernement durant l’hiver 2018-2019.

Le plus grave est que la colère monte dans chaque camp agricole. Les «productivistes», ces exploitants dont le sort dépend de l’agro-industrie, dénoncent les réglementations et les effets du «pacte vert pour l’Europe» (Green Deal) visant à adapter les politiques de l’UE en matière de climat, d’énergie, de transport et de fiscalité en vue de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Ce sont leurs tracteurs qui bloquent Berlin, mais aussi la frontière entre la Pologne et l’Ukraine, car les paysans polonais disent souffrir de la concurrence des importations illégales de blé en provenance de leur voisin en guerre.

De la ferme à la fourchette

Mais les «écologistes ruraux» sont aussi enragés. Ils estiment, eux, que leurs efforts pour promouvoir l’agriculture bio ne sont pas payés de retour. Ils réclament davantage de soutien pour la stratégie européenne «de la ferme à la fourchette» (en anglais, «Farm to fork» ou «F2F») adoptée en octobre 2021. Celle-ci prévoit par exemple qu’un quart des terres agricoles devront être cultivées «bio» d’ici 2030 (contre 10% aujourd’hui dans l’UE) et que les ventes d’antibiotiques pour les animaux d’élevage seront réduites de moitié.

Pourquoi cette explosion de colères rurales maintenant? D’abord parce que les élections européennes approchent et que la vague nationale populiste qui déferle actuellement dans l'UE constitue un tremplin pour les revendications paysannes. «Après la pandémie et l’impact de la guerre en Ukraine sur les coûts de production, ce sont désormais les déclinaisons nationales du Green Deal européen qui alimentent les colères, car c’est perçu comme un trop-plein de normes», résume Gilles Ivaldi, chercheur au CNRS et au centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), interrogé par la chaîne Public Sénat.

Ensuite parce que l’inflation, la baisse de pouvoir d’achat et les pressions des pouvoirs publics pour limiter les hausses de prix alimentaires placent les paysans dans une situation impossible. Leurs coûts augmentent. Leurs recettes plafonnent.

En France, souvent en raison de cette situation d’étranglement financier, un paysan se suicide tous les deux jours. En Suisse, l’Union suisse des paysans jugeait fin 2023 «incompréhensible et inéquitable» la proposition du Conseil fédéral de réduire de 347 millions de francs l’enveloppe budgétaire 2026-2029 allouée à l’agriculture. Une diminution de 2,5% par rapport aux trois années précédentes.

Malaise social des campagnes

Les colères paysannes ne sont pas que conjoncturelles. Elles révèlent aussi, partout en Europe, le malaise social des campagnes, rendu plus aigu par la pandémie de Covid qui a vu décupler le nombre de néoruraux venus des villes. Lesquels misent sur le télétravail et ignorent les besoins des agriculteurs.

«Être Paysan, c’est une fierté, estime Pierre Thiry, le président d’une association d’entraide aux agriculteurs en détresse dans la région Rhône-Alpes. Ils restent sur le territoire. Ils font vivre leur commune. Les gens, plus particulièrement dans le milieu agricole, sont très seuls, très seuls avec leurs problèmes.» Seuls? Au vu du soutien populaire rencontré par les paysans en lutte dans les grandes métropoles, ce n’est plus si sûr.

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