La classe moyenne. De qui parle-t-on? Emmanuel Macron n’en a pas précisé les contours lors de sa conférence de presse de rentrée mardi 16 janvier, avant de se rendre au Forum de Davos où il interviendra ce mercredi. Mais pour le président, ce sont bien ces Français qui «gagnent trop pour être aidés et pas assez pour vivre correctement», cette France de «l'angle mort» qui seront au cœur de son second mandat, jusqu’en 2027.
Vu de Suisse, cette catégorie sociale est-elle aussi une réalité? Oui, évidemment. Mais en France, où les revenus les plus modestes et les demandeurs d’emploi sont beaucoup plus épaulés par un État providence généreux, la question est directement liée à la capacité à rémunérer correctement les travailleurs. «Les classes moyennes sont menacées de grand effacement» titrait récemment «Le Figaro».
Il est très difficile, selon le journal conservateur, de vivre correctement dans une grande métropole avec une rémunération mensuelle située entre le salaire mensuel minimum de 1500 euros et le salaire médian de 1930 euros par mois, selon les chiffres de l’Institut national de la statistique (INSEE).
Le fait de cibler cette classe moyenne est très politique. Elle constitue, comme dans toutes les démocraties occidentales, la colonne vertébrale de nos sociétés. C’est vrai aussi en Suisse où l’on estime que 43,5% de la population appartient à cette catégorie sociale. Selon l’INSEE, un Français sur deux est aussi concerné.
Problème: ces citoyens sont, dans cette «France qui doit rester la France» - pour reprendre la formule présidentielle utilisée aussi par Éric Zemmour - ceux qui vivent le plus mal le sentiment de «déclassement» dont Emmanuel Macron a parlé lors de son intervention. Ils sont aussi ceux dont les suffrages expliquent la progression dans les sondages du Rassemblement national, le parti d’extrême droite nationale populiste. Mais comment éviter cette spirale électorale? Emmanuel Macron a promis hier des mesures dans trois registres, d’ici la fin de son mandat. Elles constituent le socle de la mission qu’il a confié au jeune premier ministre Gabriel Attal, 34 ans, issu pour sa part de l’élite bourgeoise parisienne.
Symboles et rituels
Premier registre: celui des symboles et des rituels. En Suisse, l’un des moments où la société se rassemble est la conscription, dans le cadre de l’armée de milice. En France, le président veut rendre obligatoire le service national civil universel, et restaurer l’ordre et l’autorité à l’école, via l’instruction civique. Soit.
Et après? L’essentiel est dans le second registre: l’économie. Pour le président, l’objectif demeure le plein-emploi, donc la poursuite de la chute du chômage de masse, raison pour laquelle une seconde loi sur la flexibilité du marché du travail sera mise en œuvre. Troisième registre: les services publics et la présence de l’État dans les régions où vivent les classes moyennes. Une fois encore, Emmanuel Macron a redit la nécessité de simplifier pour rendre la vie des Français plus facile. La classe moyenne, composée de petits propriétaires, est très vulnérable à la bureaucratie. Si elle travaille, elle manque de temps.
Un mirage?
Mais attention: et si cette classe moyenne était un mirage? «Si l’on parle dans le langage courant d’une paupérisation des classes moyennes, n’est-ce pas plutôt de «peur du déclassement» qu’il faut parler? affirmait dans une note de la Fondapol le sociologue Jérôme Fourquet. Des divergences apparaissent, parfois de façon très nette, entre les différentes classes moyennes (inférieure, intermédiaire et supérieure), ce qui permet d’entrevoir le défi politique que constitue l’élaboration d’un programme unique à destination de l’ensemble des classes moyennes».
En clair: rien à voir entre les Français moyens des campagnes et des villes, entre ceux dont le revenu familial se limite à 4000 euros par mois et ceux qui gagnent plus? On se souvient de la formule de Nicolas Sarkozy: «Travailler plus pour gagner plus.» Emmanuel Macron, accusé de dériver vers le sarkozysme et de draguer la droite, ne fait pas autre chose, sans employer ses mots.
Dans le ressenti
Dernier écueil: la classe moyenne française est dans le ressenti. Ce qui compte pour elle est parfois moins la réalité que ses peurs, ses appréhensions. «La classe moyenne redoute le grand effacement» titrait récemment Le Figaro. Or là, pas sûr qu’une conférence de presse présidentielle change quelque chose.
Le président a tonné contre le Rassemblement national, qualifié de parti de «l’affaissement», «de la peur» et de la «colère facile». Il a accusé le parti de «transformisme» puisqu’il puise son programme économique étatiste à la gauche. Mais la colère subsiste bien au-delà de la mise en œuvre des remèdes. Face au ressentiment de la classe moyenne, la France, comme les autres démocraties européennes, a-t-elle des solutions à proposer plutôt que des pansements?