Affaire réglée. C’est au président de la République française «et à lui seul» que continuera de revenir la décision ultime: celle de déclencher, ou non, une frappe nucléaire? Emmanuel Macron a tranché le débat dans son intervention télévisée du 5 mars, avant même de l’ouvrir. Alors, à quoi sert de parler d’une possible «garantie nucléaire européenne», si la bombe atomique tricolore demeure dans les mains du locataire de l’Elysée?
Au sommet européen extraordinaire de Bruxelles réuni le 6 mars sur l’avenir de la défense et la guerre en Ukraine, les questions ont fusé. A quoi peut ressembler ce «parapluie nucléaire» français supposé remplacer, en partie, la protection atomique américaine, à l’heure où Donald Trump fait du chantage à ses alliés de l’OTAN, et semble prêt à pactiser avec la Russie de Vladimir Poutine? «J'ai ouvert avec les Etats-membres intéressés un dialogue stratégique et technique. Des «coopérations nouvelles peuvent voir le jour» a précisé en fin de sommet Emmanuel Macron, qui a estimé qu'il souhaitait les voir d'ici à mi 2025.
Mais comment ? A Bruxelles, plusieurs conversations avec des conseillers et diplomates des 27 pays membres de l’Union européenne ont un peu clarifié le sujet. Voici leurs réponses résumées en cinq points principaux.
Une «garantie» à géométrie variable
Personne, à Bruxelles, ne se fait d’illusion. La bombe atomique française, testée pour la première fois en 1960 dans le désert algérien (les derniers essais sous-marins ont eu lieu en 1996, en Polynésie) ne peut pas offrir un «parapluie» comparable à ce que les 31 pays membres de l’OTAN continuent d’attendre des Etats-Unis. La France dispose aujourd’hui d’environ 300 têtes nucléaires, contre 3700 pour la première puissance mondiale et 4300 pour la Russie. La France ne dispose pas non plus dans son arsenal atomique de missiles tactiques, comme l’Iskander russe, capable de vitrifier une ville. Il en résulte une «ambiguïté stratégique» qui est à la fois une force et une faiblesse. Oui, la France pourrait riposter si un pays membre de l’UE est agressé. Mais sa frappe se conjuguera au conditionnel. Le parapluie est troué d’avance.
Une filière intégralement française
La France n’est pas le seul pays européen à posséder l’arme nucléaire. Le Royaume-Uni en dispose également (avec environ 225 têtes). La différence est que l’arme atomique tricolore – déployée sur deux composantes, sous-marine et aérienne, est «intégralement» dans des mains nationales, comme l’a dit Emmanuel Macron le 5 mars. C’est la différence avec les Britanniques, très étroitement liés aux Etats-Unis, y compris dans la prise de décision ultime. Pourquoi cela est important? Parce que toute discussion sur un futur partage européen de la dissuasion nucléaire devrait entraîner logiquement une «européanisation» de la filière avec plusieurs pays (l’Allemagne et la Pologne sont les premiers sur les rangs). De fortes résistances sont à attendre. «Il faut faire attention de quoi on parle résume un ancien ambassadeur français: définir l'enceinte européenne ad hoc, les sujets à aborder, les évolutions doctrinales dans les politiques de défense, ce qui peut être affiché prochainement comme gestes militaires (escale de Sous-marins, déploiements sans armes des appareils de la force aérienne stratégique, affichages franco-britanniques ....»
Un partage des coûts possible
Cette proposition n’est pas nouvelle. Le défunt ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble l’avait mis sur la table depuis plusieurs années. Pour ce dirigeant chrétien-démocrate, la République fédérale aurait intérêt à amorcer le débat sur le parapluie nucléaire européen en payant la moitié des six milliards d’euros du programme atomique français (destiné à augmenter si le nombre de têtes nucléaires s’accroît). Ce partage des coûts qui ne changerait pas le processus de décision, mais il engendrerait un destin commun. Le fait de partager l’addition imposerait aussi aux Etats-Majors une cartographie des centres militaires essentiels à protéger dans les différents pays concernés. «Discuter du partage du fardeau financier, aussi coûteux que soit une politique de dissuasion nucléaire, n'est pas une approche particulièrement idoine, n'a pas été et n'est pas une demande Française» nuance toutefois notre diplomate. Fait important: si le projet de futur avion franco-allemand SCAF aboutit, c’est sur ces appareils que les bombes et missiles nucléaires français seront arrimés.
L’ambiguïté stratégique, la clé
Le principe de la dissuasion nucléaire est double:
- La puissance atomique doit pouvoir, à tout moment, riposter à une agression. En France, ce rôle est notamment dévolu aux quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engin (SNLE) qui se cachent au fond des mers à tour de rôle.
- Le périmètre de cette dissuasion doit être ambigu pour décourager l’ennemi de vous tester. Exemple entendu à Bruxelles: la Banque centrale européenne située à Francfort est-elle un site que la France se doit de protéger?
La réflexion lancée par Emmanuel Macron a pour but d’associer plusieurs pays clefs dans l’élaboration des plans stratégiques. Ce serait un premier pas. Du jamais vu depuis le Général de Gaulle. «L'environnement de l'arme nucléaire en matière de guerre électronique, ou encore le renseignement d'intérêt stratégique peuvent faire l'objet de nombreuses avancées. Par ailleurs, il conviendra d'être au clair sur les dispositifs nucléaires de l'OTAN poursuit notre interlocuteur. Pour mémoire, la France a fait le choix de ne pas rejoindre le Groupe des plans nucléaires (NPG) de l'Alliance atlantique, malgré son retour dans son commandement intégré en 2008».
Et la Suisse dans tout ça?
La neutralité helvétique est supposée jouer le rôle de bouclier pour la Confédération. Cela a fonctionné, rappelons-le, durant la Seconde Guerre mondiale, dans les conditions que l’on sait. Le territoire suisse est demeuré intact. A priori, aucune puissance nucléaire établie n’a intérêt à frapper la Suisse avec une arme atomique.
Reste l’autre possibilité: une frappe «terroriste» dans le cas où un Etat voyou, ou une organisation criminelle, détiendrait une bombe atomique. C’était la grande crainte, lors de l’éclatement de l’Union soviétique. C’est pour l’éviter que le mémorandum de Budapest de décembre 1994 a été signé par l’Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan avec les Etats-Unis et la Russie. Ces nouveaux pays indépendants ont remis leurs armes atomiques à Moscou contre la garantie de leurs frontières. On connaît la suite…