«On ne peut rien faire avec une dette de cette ampleur»: cette phrase, prononcée par François Bayrou dans la foulée de sa nomination le vendredi 13 décembre, résume le casse-tête du chef du gouvernement français. Impossible en effet, pour le pays, de fonctionner sans un budget pour l’année 2025. Un casse-tête pour le nouveau ministre des Finances Éric Lombard, un haut fonctionnaire spécialiste des questions d’épargne, jusque-là inconnu du grand public.
Or pour l’heure, il n’y a justement pas de budget. Le premier Conseil des ministres réuni le 3 janvier par Emmanuel Macron a, dans la forme, confirmé cette impasse. Aucun sujet ne figurait à l’agenda, malgré l’urgence humanitaire dans l’île de Mayotte ravagée par le cyclone Chido, et la campagne effrénée de communication menée par le nouveau ministre de la Justice Gérald Darmanin qui promet des moyens accrus pour lutter contre les narcotrafiquants.
Logique: le gouvernement ne peut rien faire d’autre pour le moment que de s’en tenir au cadre du budget 2024, comme le prévoit la loi spéciale promulguée le 20 décembre. Une loi qui vise uniquement à «assurer la continuité de la vie nationale et le fonctionnement régulier des services publics dans l’attente de l’adoption de la loi de finances initiale pour 2025». Autrement dit: pas question de puiser dans la caisse avant l’adoption d’un nouveau budget.
«L'Himalaya» de difficultés
Le problème est que le rattrapage impératif du budget résume, à lui seul, «l’Himalaya» de difficultés que le nouveau Premier ministre a annoncé dès sa prise de fonction. C’est en effet parce qu’il n’est pas arrivé à trouver une majorité de députés pour voter son projet de loi de finances que son prédécesseur Michel Barnier a été renversé par une motion de censure le 5 décembre.
Or sur le papier, rien n’a changé depuis lors. La dette publique si paralysante dénoncée par François Bayrou (qui occupait auparavant le poste de Haut-Commissaire au Plan, chargé de la prospective…) culmine à 3300 milliards d’euros, soit près de 115% du Produit Intérieur Brut (PIB).
Le déficit public français anticipé pour 2025 s’élève à 5,4% du PIB, soit presque le double des fameux 3%, le maximum envisagé pour les pays membres de la zone euro lors de la création de la monnaie unique, actuellement au plus bas face au dollar. Et le moteur de la croissance économique demeure sacrément grippé. Les prévisions les plus optimistes envisagent + 0,9% en 2025, tandis que d’autres évoquent déjà une stagnation.
Grave, oui sur le plan politique
Une France sans budget dans ces conditions, c’est grave docteur? La réponse est «oui» sur le plan politique. Car le gouvernement Bayrou, bien que tout neuf, est comptable des promesses faites par ses prédécesseurs (trois chefs du gouvernement se sont succédé en 2024, un record sous la Ve République depuis 1958) et par le président lui-même.
Exemple? Les agriculteurs en colère, à qui l’on a promis 12 milliards d’euros d’aides supplémentaires pour les douze prochains mois, sous diverses formes. L’armée, qui compte bien empocher ses 50,5 milliards d’euros prévus dans la version initiale du budget 2025. Le ministère de l’Intérieur, dont le budget doit passer de 20 milliards en 2022 à 25 milliards en 2027, à la fin du second quinquennat d’Emmanuel Macron.
Grave, surtout, pour la crédibilité des responsables politiques français. Lesquels continuent tous de faire des promesses, en oscillant entre deux options suicidaires pour l’économie nationale en proie à un net ralentissement, comme le prouve le record de faillites d’entreprises (67'000) enregistrées en 2024.
Première option: l’augmentation des impôts (notamment sur les plus riches) proposée par la gauche, dans un pays où les prélèvements obligatoires représentent déjà 48% du PIB, en tête de tous les pays européens. La France Insoumise (LFI), le parti de Jean-Luc Mélenchon, avait ainsi proposé à l’automne un nouvel impôt sur le patrimoine des milliardaires, fixé à 2% de la fraction supérieure de patrimoine d’un foyer qui dépasserait le milliard d’euros, en écartant le risque d’une possible fuite des capitaux.
L’échec de Barnier
Seconde option: le statu quo. C’est à cela qu’au final le précédent Premier ministre Michel Barnier était parvenu, après avoir longtemps plaidé en vain pour des coupes dans les dépenses, à hauteur de soixante milliards d’euros, un montant jugé indispensable pour permettre à la France de retrouver de l’oxygène financier. «Il est vite apparu que Michel Barnier n’avait pas la moindre idée sur la manière de s’y prendre pour réduire le déficit budgétaire en 2025 déplorait le 12 décembre l’économiste Charles Wyplosz, enseignant à Genève. La logique de réduire le déficit en coupant dans les dépenses pour les deux tiers et augmentant les impôts pour le tiers restant était purement politique.»
En clair: La France de 2025 a perdu sa boussole budgétaire. Et pour cause: les deux forces les plus puissantes à l’Assemblée, le Rassemblement national (droite nationale populiste) et la coalition de gauche (mal en point, mais dominée par LFI) veulent avant tout dépenser plus, et revenir sur les concessions faites au monde de l’entreprise par Emmanuel Macron.
Grand emprunt national
Reste donc, dans ces conditions, une seule issue envisageable: le lancement d’un grand emprunt national, qui serait proposé aux Français dont le taux d’épargne est vertigineux (19%, autre record). C’est ce qu’avait fait, en 1972, un ministre des Finances nommé Valery Giscard d’Estaing. Bingo.
L’actuel Premier ministre François Bayrou est l’héritier de l’UDF, la famille politique de Giscard, de droite plutôt libérale. Et il se souvient à coup sûr du destin de VGE, élu deux après son emprunt président de la République. Or la prochaine présidentielle française, sur laquelle Bayrou lorgne évidemment après ses trois précédentes tentatives (2002, 2007 et 2012) interviendra pile dans deux ans!