«C’est la merde.» Ce mot, les Mahorais le répètent en boucle depuis le passage dévastateur du cyclone Chido voici deux semaines, le samedi 14 décembre, causant la mort de 39 personnes et 124 blessés graves. «C’est la merde», lancent-ils à l’adresse des officiels qui, depuis le passage d’Emmanuel Macron sur cette île française de l’océan Indien les 19 et 20 décembre, tentent de faire oublier les propos du président de la République. C’est en effet lui qui a lancé ce terme dans le débat public insulaire. Comment? En répondant à des manifestants qui ont tout perdu, très critiques de la France, qu’ils seraient «dix mille fois plus dans la merde» si ce territoire de 374 km² n’était pas un département français.
Le problème est que cette expression cache bien plus qu’une colère. Elle recouvre des réalités que le nouveau Premier ministre François Bayrou va devoir affronter ce lundi 30 décembre, accompagné de cinq ministres, dont Manuel Valls, désormais en charge de l’Outre-mer dans son gouvernement. En voici au moins trois sur lesquelles le maire de Pau – si attaché à sa ville pyrénéenne qu’il a préféré y présider un conseil municipal plutôt que de venir à Mayotte dans la foulée du passage du cyclone – devra apporter des réponses.
La première réalité qui exaspère les 350'000 résidents de l’île (des chiffres font état de 500'000 habitants, compte tenu du nombre de migrants clandestins) est l’acheminement encore bien trop insuffisant de l’aide humanitaire. Certes, un hôpital militaire de campagne a été déployé. Mais l’eau potable continue de manquer dans de nombreux villages, malgré la réouverture des routes. De nombreux habitants n’ont reçu, pour toute aide alimentaire, que des boîtes de sardine. Pourquoi un tel retard alors que l’île est petite, et que le port et l’aéroport fonctionnent? A quoi sert de déblayer le centre de Mamoudzou, la ville principale, pour accueillir les délégations officielles, alors que le circuit de distribution des secours apparaît cruellement inefficace?
La seconde réalité qui nourrit la colère est l’incompréhension face aux offres d’aides internationales non acceptées par la France. Pourquoi ne pas avoir sollicité l’aide de l’Afrique du Sud, bien plus proche que l’hexagone de cette île située au large de Madagascar, dans le canal du Mozambique? Pourquoi les gros moyens aériens et maritimes américains, stationnés sur la base de Diego Garcia, distante de 3000 kilomètres (quatre jours de mer) ne sont pas intervenus?
La réponse tient, bien sûr, au fait que la France est un «grand» pays, et qu’elle dispose depuis l’île de la Réunion (à 1500 kilomètres) d’un centre de transit. Mais dans les faits, ces deux semaines ont été caractérisées par des pénuries. A noter: la quasi-absence de communication officielle française sur l’activation du mécanisme de protection civile de l’Union européenne. Celui-ci a été activé. Mais ses moyens lourds ne semblent pas avoir été engagés.
La troisième réalité sur laquelle va buter certainement François Bayrou est l’impression que l’île, où les lois de la République sont de longue date mises en échec par l’immigration massive en provenance des Comores, est aujourd’hui le théâtre d’opérations de communication à répétition. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, reconduit dans le nouveau gouvernement, a été le premier à s’y rendre. Emmanuel Macron y a ensuite passé deux jours, jurant que l’île avait «de la chance d’être en France». Des annonces alarmistes ont très vite eu lieu, parlant à tort de milliers de morts, alors que le bilan humain est de 39 personnes décédées.
Or voici maintenant une bonne partie du gouvernement qui débarque. A chaque fois, des moyens lourds sont mobilisés. Mais ne faudrait-il pas, d’abord, s’assurer de l’efficacité de l’aide humanitaire alors que les collectes ouvertes en France, comme celle de la Fondation de France, connaissent un grand succès populaire?
Autre sujet qui commence à poindre: le traitement des dizaines de milliers de migrants clandestins qui vivaient à Mayotte dans des bidonvilles accrochés aux collines, rasés par le cyclone. Chose logique: la priorité humanitaire l’a jusque-là emporté sur les questions administratives. Mais comment cet aspect décisif pour l’avenir du territoire va-t-il être traité?
L’aide instrumentalisée?
Certains bons connaisseurs du dossier de Mayotte, seule île de l’archipel des Comores à avoir voté lors du référendum d’indépendance le 22 décembre 1974 pour son rattachement à la France, soupçonnent le gouvernement français d’instrumentaliser l’aide humanitaire. Explication: l’acheminement tardif de l’aide dans les zones de bidonvilles obligerait les populations locales à retourner dans les îles voisines d’Anjouan, Moheli et la Grande Comore. Des centaines de personnes se sont en effet regroupées, ces derniers jours, près de l’embarcadère des bateaux qui desservent l’archipel.
Emmanuel Macron a affirmé que si Mayotte n’était pas le 101e département français depuis 2011 – il s’agissait auparavant d’un territoire d’Outre-mer – ses habitants seraient «dix mille fois plus dans la merde». Vraiment? «Où est l’armée? Qu’est-ce qu’ils font?» dénoncent les élus insulaires. Près de 3900 personnels de la Sécurité civile, de la police, de la gendarmerie et des armées sont engagés aujourd’hui sur l’île, dont 1500 en renfort. François Bayrou et Manuel Valls devront faire bien plus qu’apporter des réponses de circonstance. Car Mayotte ravagée est bel et bien dans la merde!