Assiste-t-on à la première polémique de l’ère Bayrou? A peine entré en fonction, le nouveau Premier ministre français est accusé de trop peu s’impliquer dans les opérations d’assistance humanitaire à l’île de Mayotte, dans l’océan Indien, dévastée samedi 14 décembre par le passage du cyclone Chido. Point d’orgue de ces critiques: la décision du leader centriste, engagé dans des consultations en vue de former un gouvernement de coalition le plus stable possible, de se rendre lundi 16 décembre au conseil municipal de sa ville de Pau (Pyrénées-Atlantique), plutôt que de coordonner l’acheminement des secours. Polémique justifiée? Ou effet d’optique?
Premier élément à bien avoir en tête à propos de cette catastrophe naturelle qui a frappé l’île de Mayotte: le bilan du cyclone Chido demeure encore approximatif. Une vingtaine de morts ont été confirmés, alors que le préfet évoque la possibilité de «milliers de disparus» sur un territoire de 374 km2, soit un peu plus que le canton de Genève. Mayotte est un archipel français situé proche de Madagascar et de la côte du Mozambique qui a aussi été endommagé par le passage de Chido.
Le problème actuel, à Mayotte, devenue le 101e département français en 2011, est le degré de destruction des infrastructures publiques d’une part (aéroport, hôpital, port maritime), et des nombreux bidonvilles accrochés aux collines d’autre part. L’autre casse-tête est la prise en compte de la population dans son ensemble, alors qu’environ la moitié des habitants de l’île (entre 350'000 et 500'000 personnes) sont des immigrants clandestins que les autorités françaises veulent renvoyer dans les îles voisines. Comment, dès lors, recenser les victimes?
Deuxième élément pour apprécier l’étendue des dommages: l’île de Mayotte, aussi touchée soit-elle par le cyclone Chido, est globalement mieux lotie que les territoires des pays voisins, ou des pays traditionnellement balayés par les cyclones comme le Bangladesh. Les deux derniers accidents climatiques sur le territoire remontent à 1934 et 1984. Si la situation démographique n’était pas aussi catastrophique, et si les infrastructures du territoire n’étaient pas aussi débordées par la surpopulation, les dommages causés par Chido seraient moins importants.
Il faut relire pour s’en rendre compte la proposition de loi de «programmation relative au rattrapage, au développement économique, à l’égalité sociale et à la sécurisation de Mayotte», déposée voici quelques semaines par l’une des députées insulaire, Estelle Youssouffa. «Mayotte subit pourtant une multi‑crise gravissime qui pose un risque existentiel largement ignoré, écrivait-elle. Les Français de Mayotte ne peuvent accéder librement à la santé, l’éducation, la sécurité, la justice, l’eau, le logement alors qu’ils sont pleinement soumis aux obligations de la République», a-t-elle assuré.
Et de poursuivre: «cette inégalité de traitement soulève la question de la réalité de l’égalité républicaine. La situation actuelle, marquée par des dotations publiques insuffisantes, des prestations sociales réduites et un accès limité aux services publics, reflète une marginalisation systémique. L’alignement des prestations sociales et la construction des infrastructures publiques à Mayotte sont une question de justice sociale et un combat républicain qui s’inscrit dans celui de notre pays pour l’égalité entre les citoyens».
Évaluer la catastrophe
Troisième élément pour apprécier l’importance de la catastrophe: la mobilisation des moyens humanitaires, acheminés par transport militaire. La France, à partir de la métropole ou de l’île de la Réunion (à quatre jours de bateau) a largement les moyens de surmonter les dégâts du cyclone Chido, même si l’Union européenne et les États-Unis ont proposé leur aide.
Avantage de l’aide américaine: la relative proximité de la base navale de Diego Garcia, dans l’océan Indien, où d’importants moyens maritimes sont stationnés. Sauf énorme surprise, la situation humanitaire devrait donc se stabiliser dans les prochains jours à Mayotte. Un hôpital militaire de campagne est d’ailleurs en cours d’installation. Et l’aéroport, même si les vols commerciaux sont interrompus, bénéficie d’une piste d’atterrissage praticable.
Beaucoup plus compliquées en revanche seront la reconstruction, et l’attitude adoptée par les autorités françaises envers les victimes du cyclone et de ses rafales à plus de 200 km/h. Emmanuel Macron, attendu sur place dans les prochains jours, devrait s’exprimer sur le sujet. L’ironie des circonstances est en effet que la police et la gendarmerie déployées sur l’île avaient entrepris, début décembre un «décasage massif».
Destruction de l’habitat insalubre
Décasage? C’est-à-dire destruction de l’habitat insalubre. «Le bidonville de Mavadzani doit être totalement rasé. Ce bidonville, au cours des années, est presque devenu un village de plusieurs milliers d’habitants. Des centaines de forces de l’ordre, d’agents publics, d’engins de chantiers vont s’atteler à cette opération hors normes préparée depuis des mois, voire des années», annonçait le 2 décembre la radio locale Mayotte la première. Et d’ajouter: «Ce matin, sur terre, dans les airs voire sur mer, des centaines de forces de l’ordre vont donc commencer à évacuer ce bidonville avant la destruction des 465 cases recensées, on peut estimer que cela va concerner entre 3500 et 4500 personnes voire plus, soit la population d’une ville moyenne.»
Reprise en main
Dans sa proposition de loi déposée en novembre, la députée Estelle Youssouffa précédait, paradoxalement, le passage du cyclone Chido en recommandant une politique de reprise en main complète de ce territoire par l’État: «Mise au défi à Mayotte, la République doit réagir, reprendre le contrôle et fixer un cap clair: égalité réelle, développement économique, protection de notre souveraineté et contrôle du flux migratoire. Pour sortir Mayotte de cette situation, il est impératif que l’État revoie en profondeur sa politique à l’égard de l’île. Le déficit en infrastructures à Mayotte est criant. 40% des écoles primaires sont en état de vétusté, les hôpitaux fonctionnent bien au‑delà de leur capacité, et 30% des foyers ne disposent pas d’un accès régulier à l’eau potable. Les infrastructures de gestion des déchets et d’assainissement sont largement sous‑dimensionnées, entraînant une dégradation environnementale alarmante, notamment dans les zones littorales. Face à une croissance démographique estimée à 4% par an, les collectivités locales doivent également relever le défi de l’urbanisation anarchique et illégale.»
Éviter les promesses
Le premier ministre François Bayrou, en laissant travailler la cellule de coordination interministérielle et son ministre démissionnaire de l’Intérieur Bruno Retailleau fait donc peut-être preuve d’une sage prudence. L’acheminement des secours devrait en effet vite conduire à une amélioration ponctuelle de la situation. Mais faire des promesses et prendre des engagements dans cette situation chaotique pourrait bien s’avérer particulièrement risqué.