Mis en examen, il démissionne
Arnaud Lagardère, la chute d'un milliardaire et d'un capitalisme qui déraille

Le milliardaire Arnaud Lagardère prend ses distances avec le groupe qui porte encore son nom. Mis en examen pour abus de biens sociaux et abus de pouvoir, il démontre le déraillement d'un empire financier.
Publié: 30.04.2024 à 18:00 heures
1/4
Le groupe de presse et de médias constitué par Jean-Luc Lagardère a été peu à peu démantelé par son fils Arnaud, aujourd'hui mis en examen.
Photo: DUKAS
Blick_Richard_Werly.png
Richard WerlyJournaliste Blick

Le capitalisme français a ses zones d’ombre. Rien d’étonnant. En Suisse aussi, le destin des entrepreneurs les plus riches du pays est parfois très éloigné du roman à succès qu’on leur prête. Sauf qu’en France, la vie des milliardaires est scrutée, épiée, détaillée et objet d’une lutte politique au couteau, aiguisée par la gauche radicale au nom de l’Égalité qui figure dans la devise de la République.

Pas étonnant, dès lors, que la saga d’Arnaud Lagardère (63 ans) soit aujourd’hui une affaire nationale. Ce milliardaire-là a hérité de tout: d’une fortune colossale, de connexions politiques inoxydables et d’une influence médiatique sans équivalent. Mais il a tout gâché au point de se retrouver depuis lundi 29 avril mis en examen pour «abus de pouvoir et abus de biens sociaux».

Pourquoi la chute programmée d’Arnaud Lagardère – qui a dans la foulée démissionné mardi 30 avril de ses mandats de direction et d’administration dans ses différentes sociétés – est-elle si emblématique? Pour trois raisons qui sont au cœur du malaise permanent entre une partie de l’opinion publique française et les grandes fortunes qui tirent pourtant l’économie du pays.

Un climat d'avant 1789

Raison 1: Arnaud Lagardère est un pur héritier, qui n’a jamais rien construit par lui-même, soit l’exact contraire de son père, Jean-Luc Lagardère, magnat de la défense et des médias (1928-2003).

Raison 2: L’héritier Lagardère est accusé d’avoir menti sur les comptes de ses sociétés pour alimenter son train de vie fastueux, ce qui le fait ressembler à ces aristocrates enfermés dans leur tour d’ivoire de volupté avant la révolution de 1789.

Raison 3: Lagardère fils est, depuis des décennies, au cœur du pouvoir politique français, via ses connexions personnelles héritées de son père et via ses puissants médias, comme l’hebdomadaire «Paris Match» ou «Le Journal du dimanche» (possédés aujourd’hui par un autre milliardaire, Vincent Bolloré, qui négocie la revente du premier au géant du luxe Bernard Arnault).

Obscurs méandres

Arnaud Lagardère, ou le pire du capitalisme français? En partie. Parce que sans les connivences au plus haut niveau, sans l’appui de l’ancien président Nicolas Sarkozy (qui office au sein du conseil d’administration du groupe Hachette, autrefois possédé par Lagardère) et sans la protection d’amis de son père comme Bernard Arnault, ce milliardaire avant tout passionné par le sport-business aurait dû, depuis longtemps, rendre les armes et passer la main.

C’est donc une plongée dans les méandres obscurs de tout un pan du capitalisme hexagonal que les juges d’instruction du parquet national financier (PNF) ont plongé depuis l’ouverture de leur information judiciaire en avril 2021, il y a quatre ans. 

Impossible, par exemple, d’oublier le fait que le groupe Lagardère était autrefois leader en France dans l’armement, et notamment la production de missiles avec la société Matra, fusionnée en 1999 avec Aérospatiale. Matra était un pilier du complexe militaro-industriel français. Avec, dans son sillage, pas mal d’affaires de corruption, de contrats passés avec les pays influents du Golfe, et de complicités dans les plus hautes sphères politiques.

Entretenir son image? Pourquoi faire

Vient ensuite la polémique sur l’utilisation de la richesse. En France, être riche est difficile. Mais avoir de la fortune sans contribuer à la société de manière visible est insupportable et intenable. Bernard Arnault, l’homme le plus riche du monde avec son groupe LVMH, le sait parfaitement. Toute sa communication cible les métiers d’excellence que ses marques de luxe font vivre.

Son rival François Pinault a ouvert à Paris une fondation dans le bâtiment de l’ancienne Bourse du commerce (Arnault, lui, a la Fondation Vuitton dans le bois de Boulogne). Même Vincent Bolloré, réputé très à droite, entretient son image avec des actions caritatives comme son soutien à la fondation de la deuxième chance.

Lagardère? Rien de cette importance. Et ce, alors qu’il contrôlait au sein du groupe Hachette des éditeurs renommés comme Fayard, Grasset ou Calmann-Lévy, propagateurs d’idées nobles et humanistes à travers leurs livres. Au sein de cette dernière maison d’édition, la famille Calmann-Levy dénonçait d’ailleurs depuis longtemps la gestion de son propriétaire. Sa mise en examen, même si la présomption d’innocence prévaut, montre que ses accusations étaient fondées.

Pays de milliardaires

La France, pays de milliardaires? Le paradoxe est que la réponse est oui. Emmanuel Macron, depuis son arrivée au pouvoir en 2017, a d’ailleurs fait de l’attractivité économique et financière son slogan-roi. Or voici que l’affaire Lagardère montre l’envers du décor, de manière d’autant plus crue que le milliardaire possède aussi, dans l’ouest de Paris, le club le plus select de l’élite: Le Lagardère Paris Racing.

La chute d’un homme qui va maintenant se battre pour prouver son innocence? Non, le déraillement d’un capitalisme qui, dans notre époque de transparence, ne pouvait plus masquer ses déraillements et ses dérives.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la