Ras-le-bol. C’est simple. Ce n’est pas écrit tel quel. Mais c’est le sentiment qui domine à la lecture du rapport que des experts mandatés par la France et l’Allemagne viennent de rendre sur l’avenir de l’Union européenne (UE).
Ras-le-bol d’un processus de décision bloqué par la nécessité du consensus et la possibilité de veto d’un seul État membre.
Ras-le-bol d’un processus d’élargissement de l’UE mal maîtrisé, qui risque de faire exploser le projet communautaire né à la fin des années 50 pour surmonter le risque d’un nouveau conflit sur le continent.
Ras-le-bol, surtout, de se voiler la face: la guerre est revenue, via l’Ukraine. Et si les membres fondateurs de l’Union européenne n’en tirent pas les conséquences, le «bug» monumental est programmé.
Une date et un chiffre d’abord, parce qu’ils permettent de comprendre pourquoi Paris et Berlin, pourtant plutôt en froid ces temps-ci en raison de leurs divergences sur le nucléaire et d'autres sujets, accélèrent leurs cogitations.
Retrouvez ici le rapport franco-allemand sur l’Europe 2030
La date? 2030. C’est désormais l’horizon, anticipé par ce document, du prochain élargissement de l’Union. Dans sept ans, autrement dit demain! Si tel est le cas, l’Ukraine et la Moldavie, nouveaux pays candidats depuis 2022, auront intégré l’UE en version TGV, bien plus rapidement que tous les autres.
Le chiffre? Huit. En plus de l’Ukraine et de la Moldavie, six pays sont quasi assurés de monter à bord du prochain train pour une Europe élargie: Albanie, Bosnie-et-Herzégovine, Monténégro, Macédoine du Nord, Serbie et Kosovo. Dans le jargon de Bruxelles, ces pays sont désignés comme les Balkans Occidentaux. Le Kosovo n’est pas reconnu par tous les pays de l’UE, mais a déjà l’euro pour monnaie. Personne ne pense, en revanche, à une possible intégration pleine et entière de la Turquie et de la Géorgie.
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Ras-le-bol, et après? Le document des experts français et allemands préconise six solutions pour sortir de cet imbroglio et du risque de paralysie:
1. Exit l’unanimité. Toutes les décisions de la future Union européenne devraient être prises à la majorité qualifiée et non à l’unanimité, qui rend très difficile les accords à 27, comme on le voit, ces jours-ci, sur l’immigration.
2. Les règles, rien que les règles. Tous les pays membres seraient tenus de respecter des normes en matière d’indépendance de la justice et d’État de droit, avec sanctions automatiques à l’appui en cas de contraventions, voire expulsion du club. L'exemple de la Pologne et de la Hongrie, deux pays sanctionnés par la Commission, montrent que ce type d'infraction n'est pas tenable.
3. Budget accru, dette commune. Le budget de l’Union serait ramené à cinq ans et non sept, comme actuellement. L’émission d’emprunts communautaires deviendrait possible.
4. Géométrie variable. Quatre niveaux d’intégration sépareront les groupes de pays selon ce qu’ils choisissent de mettre en commun. C’est la vieille idée de la France d’une UE à «plusieurs vitesses».
5. Bienvenue aux partenaires. Un cercle encore plus large sera composé de membres associés, comme la Suisse, qui participeraient au marché unique de l’UE pour les biens et les services et adhéreraient «aux principes communs de l’UE».
6. Communauté politique européenne. Les pays de la future Union et leurs partenaires animeront la CPE (un forum proposé par la France dont la Suisse est membre, qui doit à nouveau se réunir le 5 octobre à Grenade, en Espagne) avec les pays de leur périphérie, essentiellement pour se coordonner sur le plan de la politique extérieure.
La vérité? Paris et Berlin en ont assez de l’Europe à 27. La question? Pourront-ils la transformer ? Et, surtout, seront ils d’accord sur sa future nature?