Cette journaliste l'affirme
Faut-il avoir peur des activistes «woke»?

Une année d'immersion aux côtés des activistes «woke» qui, en France, affirment lutter contre toutes les formes de discrimination. Avec son livre «Les nouveaux inquisiteurs», Nora Bussigny suscite la polémique. Elle s'en explique pour Blick.
Publié: 18.09.2023 à 17:07 heures
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Nora Bussigny est une journaliste française de 27 ans. Son livre «Les nouveaux inquisiteurs» raconte son immersion dans la mouvance «wokiste» dans l'hexagone.
Photo: Richard Werly
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Richard WerlyJournaliste Blick

Nora Bussigny a pris peur. Pas une peur physique, même si les attaques pleuvent sur les réseaux sociaux depuis la parution de son livre «Les nouveaux inquisiteurs» (Ed. Albin Michel), résultat de son immersion d’un an dans la mouvance «woke» («éveillée», si l’on traduit le terme anglais).

Peur pour la capacité des Français de toutes générations, et de tous milieux, à vivre encore ensemble. Peur devant la haine des flics des «antifas», très présents dans les milieux «wokistes» qu’elle a côtoyés à Dijon, Paris et dans d’autres villes. Peur, aujourd’hui, de ne pas être comprise lorsqu’elle raconte, au premier degré, ces mois passés aux côtés d’activistes et de militants intersectionnels, résolus à lutter contre toutes les formes de discrimination. Au risque de devenir eux-mêmes des procureurs et de couvrir tous les excès au nom de leur recherche d’une certaine «pureté». Entretien.

On commence par vous, Nora. Vous racontez dans votre livre les modalités de votre infiltration, votre changement d’apparence physique et vestimentaire pour mieux vous intégrer dans la mouvance «woke». Un faux piercing, des Docs Martens, tout ça n’est pas un peu «cliché»?
J’avais envie de voir de près qui sont les activistes «woke». Je suis beaucoup les réseaux sociaux comme journaliste. Les inégalités et les discriminations qu'ils dénoncent me parlent. Je suis, à 27 ans, une féministe assumée, convaincue que l’égalité entre les hommes et les femmes doit être défendue sans répit. J’aime le terrain. Je voulais donc aller au contact.
Ma mère est née au Maroc. Ella a encore la nationalité marocaine. Je connais le métissage de l’intérieur. L’intersectionnalité, c’est-à-dire l’articulation de différentes luttes, ça me parlait a priori. J’ai vécu en Bretagne, en région parisienne dans une famille plutôt provinciale. J’ai donc copié les codes vestimentaires des «wokes», tels qu’ils m’apparaissaient. C’est cliché, ça? Peut-être. Mais le fait est que hormis une fois, lors d’un débat face à une journaliste qui me suivait sur les réseaux sociaux, personne ne m’a reconnue ou n’a mis en doute mon identité durant mon année d’enquête, entre mars 2022 et mars 2023. Ça a plutôt bien marché.


On vous reproche beaucoup, sur les réseaux sociaux, d’être caricaturale et de raconter une histoire sur les «woke» que les lecteurs opposés à cette mouvance veulent entendre. Que répondez-vous?
La radicalité de ces militants n’est pas nouvelle. Ce n’est pas moi qui l’ai inventée. Et c’est d’ailleurs ce qui est intéressant. J’ai toujours trouvé qu’on emploie le mot «woke» à tort et à travers. Alors j’ai voulu voir. Et j’ai, en même temps, voulu comprendre mon propre cheminement. C’est pour ça que je consulte un psychanalyste durant cette année d’immersion, et que je le mets en scène.
Le psy, c’est mon miroir. Je me vois changer à force de côtoyer ces militants antiracistes, antifa, LGBT, pro hijab… Ceux qui m’accusent de déformer la réalité se trompent. J’ai au contraire pris tout cela très au sérieux. C’est pour cela que je voulais raconter ce que je vivais à quelqu’un, distinguer mon ressenti des faits, si c’est possible. On m’accuse de tout caricaturer. Mais le psy est justement là pour m’aider, dans le livre, à remettre les faits et les sentiments en place.


Alors les «woke», ils sont sympas, méfiants, inquiétants, dangereux?
Il y a de tout dans cette mouvance. C’est pas mal la pagaille, et elle peut-être parfois assez joyeuse. Ce que je retiens, c’est son influence. Les «woke» diffusent dans la société. Il y a beaucoup d’étudiants, de jeunes plutôt intellos, qui seront demain journalistes ou enseignants.
L’un des points saillants, en France, est aussi le rôle-clef joué, chez les «woke», par les antifas qui veulent la peau des flics et passent leur temps à lutter contre les forces de l’ordre. Il y a là un truc très français. Casser du flic, c’est un mot d’ordre qui marche bien dans ces milieux. D’où la violence assez présente.


D’emblée, votre livre met en scène des «hijabeuses» qui défendent le port du voile islamique. Puis émerge la figure d’Assa Traoré, qui accuse la police et la justice d’avoir menti sur les circonstances de la mort de son frère, mort à 24 ans en 2016. Cela dit quoi, selon vous, de la mouvance «woke» en France?
Je ne suis pas sociologue. Je raconte ce que j’ai vu. Mais il est clair qu’aujourd’hui, en France, la lutte des «éveillés» contre les discriminations sert d’autres combats. Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si Assa Traoré est de plus en plus contestée comme figure de proue. La mouvance «woke» d’origine, anticapitaliste, pro LGBT, antiraciste, vit mal d’être confisquée par une famille, ou un clan. J’ai pu le constater.
Pour les islamistes, c’est différent. Il y a, en France, un combat contre la laïcité. Il irrigue une partie du mouvement «woke». C’est un fait. On ne veut pas imaginer de lutte sans associer des femmes voilées qui se battent pour le port de ce signe religieux. On me reproche d’ailleurs d’être néo-laïque!
Il faut bien comprendre que le «wokisme», en France, va au-delà de revendications sociales ou culturelles. Une partie de la jeunesse rejette la laïcité et ses règles. On le voit avec les polémiques suscitées par la récente interdiction de l’abaya dans les écoles. Le vieux Parti socialiste laïcard est rejeté. Il est jugé dépassé. L’intersectionnalité est devenue un dogme que pas mal dénoncent et vivent mal, comme le dit dans mon livre Arnaud, l’une des fondateurs du collectif LGBT universaliste «Fiertés Citoyennes?» Pour lui, l’intersectionnalité «est un concept sociologique qui a été finalement instrumentalisé, qui n’avait pas sortir des laboratoires d’étude des universités, auquel on fait dire n’importe quoi». Beaucoup de militants «woke» regrettent que leur lutte ne soit plus aussi apolitique qu’avant. Ils se sentent instrumentalisés.

C’est-à-dire…
Je cite dans mon livre le cas d’Arnaud. Pour lui, «il y a des bonnes et des mauvaises victimes, c’est ça le ressenti victimaire qui est aujourd’hui porté au pinacle. Plus on risque de subir des discriminations, plus on est quelqu’un qui mérite l’attention. Il y a une hiérarchie des victimes, ce n’est pas du racisme, mais ça s’en rapproche! Cependant, attention, je ne mésestime pas les difficultés que peuvent rencontrer d’autres personnes. Ça ne veut pas dire pour autant que je vais considérer que ces personnes, parce qu’elles sont noires, homosexuelles ou pourvues de je-ne-sais quel handicap social, soient par essence des victimes. En un mot, il ne faut pas transformer les gens en discriminés, mais se battre contre la discrimination». L’instrumentalisation commence là.

Parlons de sexualité justement. Le mouvement «woke» défend les transgenres, se bat contre la discrimination envers les homosexuels etc... Mais à lire votre livre, un fait interroge: contrairement aux libertariens des années 60, où à la contre-culture venue des États-Unis, on prend peu de plaisir chez les «woke». Bref, ce n’est pas très fun…
Vous ne croyez pas si bien dire. J’ai entendu beaucoup de jeunes militants se présenter comme «asexués» ou «asexuels». On prête à cette jeunesse une hypersexualisation mais ça ne colle pas avec ce que j’ai vu. Il y a un côté très puritain, tout comme il y a une présence massive de militants d’extrême gauche.
Le «wokisme» trie. Il ne libère pas. Il cloisonne. Il met la conscience des discriminations et la victimisation au-dessus de tout. Il fait que les activistes se sentent supérieurs. C’est ce que j’ai ressenti à leurs côtés. L’obsession des discriminations devient une sorte de bréviaire. On recherche une pureté qui n’existe pas. On trie en fonction de la couleur de peau, de l’orientation sexuelle. Tout est centré sur les fractures, sur les différences. Autre réalité: la présomption d’innocence n’existe pas. Le tribunal «woke» exfiltre manu militari les militants qui sont accusés d’avoir dérogé. Il y a une hiérarchie des victimes, ce n’est pas du racisme, mais ça peut s’en rapprocher!

A lire: «Les nouveaux inquisiteurs» de Nora Bussigny (Ed. Albin Michel)

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