Avis aux client(e)s des prostitué(e)s: vous serez peut-être bientôt traités comme des criminels dans les 27 pays de l'Union européenne.
Criminels? Le mot est fort. Mais la réalité est bien celle-ci, puisque vous aurez enfreint la loi en payant les faveurs d'un travailleur ou d'une travailleuse du sexe. Tel est en tout cas l'objectif d'une résolution votée jeudi 14 septembre par 234 députés européens (175 contre, 122 abstentions) à l'issue d'un débat sur la pénalisation des clients, sur le modèle de la loi en vigueur en France depuis avril 2016.
Date symbolique: ce débat en session plénière a eu lieu lors de la semaine la plus médiatisée du Parlement européen au cours de l'année, en raison du discours sur l'État de l'Union prononcé mercredi à Strasbourg par Ursula von der Leyen.
Pas une proposition de loi
Cette résolution n'est pas contraignante. Il ne s'agit pas d'une proposition de loi européenne puisque le Parlement de Strasbourg n'a pas l'initiative législative. Seule la Commission européenne peut proposer des directives ou des règlements dont les eurodéputés débattent ensuite. Reste que l'avertissement est fort.
Porté par l'eurodéputée socialiste allemande Maria Noichl, le texte encourage les pays de l'UE à adopter le «modèle nordique», inspiré par l'exemple de la Suède, premier pays européen à pénaliser dès 1999 les acheteurs de services sexuels. L'Irlande et la France ont suivi.
En France, les peines prévues par la loi de 2016 sont lourdes: 1500 euros pour une première interpellation, 3750 euros avec inscription au casier judiciaire en cas de récidive et 45'000 euros d’amende et trois ans d’emprisonnement si la personne octroyant le service sexuel est «vulnérable». La prostitution, en revanche, n'est pas illégale.
La Suisse bientôt une île du sexe?
Cette pénalisation des clients a-t-elle une chance de voir le jour dans les 27 pays de l'Union européenne, ce qui transformerait la Suisse, entourée de pays membres de l'UE, en île du sexe tarifé sans risque d'amende? Non. Du moins pour le moment.
Le Parlement se contente, par cette résolution à «inviter les Etats membres à faire en sorte que le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir un acte sexuel de la part d'une personne en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, d'un avantage en nature ou d'une promesse d'un tel avantage soit puni pénalement». Il appelle en revanche à ne pas pénaliser les personnes qui se prostituent, comme le font des pays tels que la Croatie ou la Lituanie.
Augmentation de la précarité
Treize ONG, dont Amnesty International et Human Rights Watch, regroupées dans une «coalition européenne pour les droits et l'inclusion des travailleurs du sexe», se sont mobilisées contre ce rapport. Elles font valoir que l'incrimination des clients accroit la précarité des travailleurs du sexe et leur vulnérabilité face aux violences et aux maladies infectieuses.
Elles rappellent aussi que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a déclaré recevable la requête déposée par 260 travailleurs du sexe qui souhaitent l'abrogation de la loi française de 2016. La Cour doit se prononcer sur le fond en 2024.