C’est le scénario cauchemar pour Emmanuel Macron et pour son nouveau Premier ministre Gabriel Attal: une capitale française bloquée dès ce lundi après-midi par les tracteurs des paysans en colère alors que le chef du gouvernement tout juste nommé doit prononcer, mardi 30 janvier, sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. Pour éviter ce scénario catastrophe, l’exécutif a promis une stratégie à deux vitesses: pas d'opposition aux barrages, mais halte au blocage. 14'000 policiers sont mobilisés. Possible malgré tout, cet encerclement ? Voici les cinq questions posées par la mobilisation des agriculteurs.
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Bloquer Paris, c’est possible?
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a, dimanche soir, répondu non. Pour lui, le blocus routier de la capitale française est une «ligne rouge», de même que le blocus du marché de Rungis, où se négocient tous les produits frais, dans la banlieue sud de la capitale. Des blindés des forces de l’ordre ont même été par avance déployés autour de ce site, proche de l’aéroport d’Orly. 14 000 policiers seront déployés. Dans les faits, la réalité est bien plus complexe. Le gouvernement n'entend pas confronter les manifestants, et maintient une ligne de tolérance si les protestations ne se transforment pas en blocus. Pas sûr toutefois que la nuance fonctionne. Il suffit que des tracteurs bloquent, en amont, les péages autoroutiers d’Île-de-France, comme ils l’ont fait ces derniers jours à Saint Arnoult en Yvelines (entrée ouest de Paris), pour que la circulation déraille. On peut imaginer, aussi, des tracteurs qui stationneraient sur les voies ferrées pour empêcher le passage des trains. Bref, bloquer l’accès de Paris est possible, y compris de loin. Les routiers et les taxis en colère l’ont souvent prouvé. Ces derniers sont d'ailleurs en grève ce lundi 29 janvier.
Bloquer Paris, pourquoi?
C’est le symbole qui compte. Pour le nouveau Premier ministre Gabriel Attal, cette semaine est cruciale. Il a été nommé par Emmanuel Macron le 9 janvier. Il n’a pas encore nommé tous ses ministres. Il doit présenter son programme gouvernemental devant les députés ce mardi 30 janvier. Il a déjà effectué deux déplacements sur le terrain, pour rencontrer des paysans en colère, vendredi 26 janvier en Haute-Garonne et dimanche 28 janvier en Indre-et-Loire. La France, on le sait, est un pays hypercentralisé. Tout part de Paris. Le Conseil des ministres s’y réunit d’ailleurs ce lundi, sous la présidence du Chef de l'État, revenu de son voyage officiel en Inde. Les paysans ont paradoxalement déjà gagné. Le chef du gouvernement reçoit à nouveau les syndicats agricoles ce lundi soir, et son entourage laisse entendre que d'autres concessions peuvent être faites, après l'abandon de la hausse des tarifs du diésel agricole, le déblocage d'aides d'urgence et les promesses de simplification administrative dans le mois à venir. A peine leur menace de blocage formulée, tout le monde panique...
Bloquer Paris, quel impact?
La véritable peur du gouvernement français n’est pas que la capitale se retrouve assiégée, privée de nourriture ou des approvisionnements indispensables à ses hôpitaux. L’encerclement de Paris n’est pas militaire. Les barrages n'ont pas pour but d'affamer les 2,1 millions de parisiens (population intra-muros), souvent solidaires du mouvement paysan selon les sondages. La principale préoccupation est l’ordre public. En Ariège, au pied des Pyrénées, une agricultrice et sa fille ont été tuées la semaine dernière par des chauffards qui tentaient de forcer le barrage paysan sur lequel elles se trouvaient. Aux abords de Paris, ce risque sera beaucoup plus grand. Le gouvernement a déjà prévenu que la circulation routière sera très difficile ces prochains jours. L’incitation à ne pas circuler est claire.
Bloquer Paris, une affaire de tracteurs?
Les tracteurs sont la hantise du gouvernement français et des forces de l’ordre. Une fois sur place, positionnés en barrages, ils sont quasi impossibles à déplacer, surtout s’ils sont nombreux. Or les convois ont commencé à s'ébranler ce lundi matin, y compris dans des départements lointains du sud-ouest comme le Lot-et-Garonne. Mais d’autres options existent pour les paysans en colère. Ils peuvent, s’ils le veulent, bloquer les accès à Paris avec leurs voitures. Ils peuvent tenter des actions coups de poing. Ils peuvent déverser des cargaisons de déchets aux péages ou sur les voies ferrées. Le tracteur, c’est le symbole. Comme chaque année fin février, ces monstres mécaniques seront la vedette du salon annuel de l’agriculture, rendez-vous politique symbolique et crucial. Ils représentent à la fois la puissance des paysans et leur vulnérabilité, car beaucoup se sont lourdement endettés pour les acquérir.
Bloquer Paris, toute une histoire
L’excellent livre du journaliste Christophe Barbier «Peuple de colères» (Ed. Fayard) le montre bien: toutes les révoltes paysannes de l’histoire de France ont démarré en province et ont fini, d’une manière ou d’une autre, à Paris. La plus célèbre est bien sûr celle de 1789 qui trouvait sa source dans la guerre des farines de 1775. Bloquer Paris, ce n’est pas bloquer la France qui, elle, continue de vivre. C’est bloquer le pouvoir. Hier: c’était bloquer le Roi. Aujourd’hui, c’est bloquer la République. Attention: le blocage de Paris peut aussi être une diversion. On parle aussi d’un blocage de Lyon ou Marseille par les tracteurs. Mais l’impact médiatique et politique serait sans doute moindre. Parce qu'en France, Paris sera toujours Paris.